1872 |

1872-69

Eugénie Desnoyers (épouse Mertzdorff)

Lundi 18 et mardi 19 novembre 1872

Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)

Lundi 18 et mardi 19 novembre 1872

Lundi 18 et mardi 19 novembre 1872

livres pour le jour de l'an

Vieux-Thann

Lundi matin

Ma chère petite Gla,

Hier, quoique Dimanche, je ne t'ai pas écrit, aussi je veux réparer ce matin et te remercier de ta bonne lettre qui a été une bonne petite visite de toi pour la fin de ma journée. J'avais eu les Duméril1 et Heuchel2 à dîner, puis ces dames André3 et Berger4 ; il s'en suit que je n'ai ni lu ni écrit. La journée avait été si sérieuse pour mes fillettes5 qu'à 5h j'ai un peu joué aux dominos avec elles, mais je ne suis rien pour cela ; Charles6 heureusement à l'art d'animer les parties et le soir on a bien ri au 21 ; ce que j'ai constaté avec plaisir tout en savourant le discours de M. Thiers7 que j'avais <souci> d'entrecouper de quelques petites condescendances à Morphée afin d'en mieux admirer l'habileté. Quel homme malgré ses 75 ans ! Il va arriver à tourner la question et les parties seront obligées de consolider pour un temps ce qui est, et par là éviter (pour le moment) une Révolution qui paraissait éminente.

2h Je t'écrivais ce matin en attendant que Marie soit coiffée, une fois la fillette parée, elle est revenue me trouver et j'ai dû lui faire une dictée et écouter la lecture de l'histoire des Doriens et des Ioniens, question très intéressante à savoir lequel des deux peuples a eu le plus d'influence sur la Grèce ancienne ! Question si intéressante que nous deux Mimi sommes convenues que nous en recommencerions la lecture parce que nous ne la possédions pas encore !! Ce qui est charmant c'est qu'elle fait tout cela avec plaisir et si gaiement.

Le temps est splendide, véritable température du mois de Mai ; après le dîner les enfants ont joué au croquet et j'ai fait une partie de billard avec Charles ; les premières sont avec Mlle Bulffer à travailler l'Allemand, le second est allé à Cernay pour la question Wattwiller, et moi je laisse mes tricots et autres que j'ai promis pour causer avec toi ; à 3h nous irons à l'école porter de l'ouvrage pour l'école de couture de Roderen, puis on rentrera faire des tableaux.

L'évènement du jour est la naissance d'un petit veau ce qui nous promet du bon lait pour tout l'hiver je voudrais pouvoir en offrir une tasse toute chaude chaque matin à l'oncle Alphonse8.

Jean9 devient tout à fait un petit homme sage et raisonnable, embrasse-le bien pour nous trois. A propos des titres d'ouvrage en voici un qui amuserait beaucoup Jean et vous plairait, La Justice des Choses de10

nous le relisons dans le journal d'Éducation et de Récréation11 et nous répétons toujours : Comme ça amuserait Jean.

Les Aventures d'un jeune naturaliste par Biart12 fait les délices d'Emilie en ce moment (toujours dans le même journal d'Éducation)

Je ne connais pas les autres ouvrages dont tu me donnes les titres : Esquisse et souvenir d'un billet de Banque13. Une famille à la Ville ; histoire du petit Maurice14. La Vie du P. Lacordaire15. La Vie de Ste Paule16. Tout cela m'est inconnu. Tu vois que je te réponds franchement si je pense à quelque chose qu'on souhaite je te le dirai

Je suis bien heureuse de savoir Maman17 bien, il y a bien longtemps que cette bonne mère ne m'a écrit, elle n'a rien à dire ; heureusement qu'elle peut s'occuper, il n'y a que cela de bon ; car les mêmes pensées vous reviennent sans cesse ; pour moi je vois toujours notre Julien18 dans ces tristes 24 heures, c'est comme un poignard qui vous vient au cœur. Pauvre cher enfant que nous aurions tous tant aimé à entourer d'affection. Dieu ne l'a pas voulu. Il faut avoir confiance que c'est pour le bien et attendre et espérer. Que

La mort de Pescheux va peut-être amener quelques difficultés pour les paiements arriérés, car le fils a pris dernièrement une ferme à son compte, il va donc falloir chercher un fermier car la femme ne doit pas être capable de mener la ferme il me semble d'après ce qu'on en disait autrefois.

Voilà donc Estelle19 décidée au mariage, si elle sait que tu me l'as écrit, souhaite-lui toute sorte de bonheur de ma part ; et c'est bien réel ; c'est une bonne fille qui mérite de ne pas être attrapée.

Tu trouveras facilement ce qu'il te faut pour la remplacer, ce à quoi il faut tenir c'est que non seulement la personne que tu prendras sache bien coudre, mais tailler.

Merci de t'occuper des chapeaux des enfants, car je sais que ce n'est pas amusant.

Comment fais-tu faire ton petit manteau sur lequel tu veux mettre ta pèlerine.

On m'a fait une polonaise en mérinos avec un effilé au bas que je mets sur mon ancienne robe à volant soutaché ; il me reste du mérinos et j'aurais envie que Cécile20 me fit un petit manteau pour mettre avec, parce que soit mon manteau de fourrure, soit mon grand collet garni de guipure, c'est souvent trop chaud. Que me conseilles-tu ? si tu as de bonnes longueurs donne-les moi. Je mettrais, comme à la polonaise, un galon de laine. R.S.V.P.

Je ne saurais te dire combien nous sommes heureux que tu aies si bien réussi à placer le petit garçon de Louise21.

Fais bien mes amitiés à Cécile22 et à Louise.

Est-ce que personne ne viendra pas voir Noël en Suisse ? J'espère que je serais prévenue et que j'aurais le plaisir d'une petite visite de l'un de vous ceci s'adresse aussi bien à M. Edwards23, à Cécile qu'à vous deux24.

Voilà Marie et Emilie qui viennent réclamer leurs bonnes notes pour leur allemand. C'est une comptabilité des plus compliquées mais Jean la comprendrait très bien et l'approuverait.

Adieu, ma chérie, je t'embrasse de tout cœur.

E.M.

1h. Mardi

Aujourd'hui comme hier et comme demain j'espère, nous vous aimons beaucoup et nous vous embrassons de tout cœur.

Charge-toi de toutes nos amitiés pour chez <nous>.

Notes

1 Louis Daniel Constant Duméril, son épouse Félicité Duméril et leur fils Léon Duméril.
2 Georges Heuchel et son épouse Elisabeth Schirner.
3 Marie Barbe Bontemps, veuve de Jacques André.
4 Probablement les filles de la précédente : Joséphine André, épouse de Louis Berger et Julie André, épouse de Léonce Berger.
5 Marie (Mimi) et Emilie Mertzdorff.
6 Charles Mertzdorff.
7 Adolphe Thiers, né en 1797, a 75 ans en 1872. Dans son discours du 13 novembre il affirme son ralliement à la République.
8 Alphonse Milne-Edwards.
9 Le petit Jean Dumas.
10 Les aventures d'Edouard et la justice des choses par Lucie B.
12 Lucien Biart (1829-1897), Aventures d'un jeune naturaliste (1870).
13 Possiblement : Les Mémoires d'un billet de banque, par Gustave Louis Ferdinand de Parseval Deschênes (1864).
14 Possiblement : Maurice, histoire contemporaine, par F. Percot, 1856, Bibliothèque morale de la jeunesse ; ouvrage plusieurs fois réimprimé.
15 Il existe plusieurs ouvrages sur la vie du prédicateur dominicain Henri Dominique Lacordaire (1802-1861) : celui de Joseph Théophile Foisset (1870), François Beslay (1862), Justin Maffre (1854).
16 Vie de sainte Paule... par l'abbé Paul d'Antony [pseudonyme de Paul Jouhanneaud], 1872.
17 jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
18 Julien Desnoyers (†).
19 Estelle, domestique chez les Milne-Edwards.
20 Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
21 Alphonse Pavet de Courteille, fils de Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
22 Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
24 Aglaé Desnoyers et son époux Alphonse Milne-Edwards.

Notice bibliographique

D’après l’original


Pour citer ce document

Eugénie Desnoyers (épouse Mertzdorff), «Lundi 18 et mardi 19 novembre 1872», correspondancefamiliale [En ligne], Correspondance familiale, 1870-1879, 1872,mis à jour le : 19/11/2012

Danièle Poublan

Cécile Dauphin

Centre de recherches historiques
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