1875 |

1875-14

Charles Mertzdorff

Mercredi 10 mars 1875 (B)

Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)

Mercredi 10 mars 1875 (B)

Mercredi 10 mars 1875 (B)

En effet1 ma grosse Marie chérie ta lettre était désirée car il me semblait qu’il y avait bien des journées de passées sans me porter de vos nouvelles. Mais je n’étais nullement inquiet & je sais très bien que bonne tantine2 n’est pas paresseuse & que lorsqu’elle croit utile de m’écrire elle le fera sans tarder une minute. Non c’était tout simplement l’ennui de ne pas être avec vous, ne pas savoir ce que vous faites & devenez, vous entendre un peu bavarder & beaucoup d’autres petits <manquants> qui font défaut dans la villégiature de Vieux-Thann.

Comme je ne connais pas la date de ma dernière & qu’il me semble qu’il y a pas mal de temps que je ne vous ai pas écrit je devrais reprendre mon journal d’un peu loin, mais les événements sont si peu importants qu’il me serait impossible d’aller bien en arrière, mes souvenirs me faisant défaut.

Cependant Dimanche le bon-papa & bonne-maman3 ont passé la journée avec moi à Vieux-Thann, ils étaient seuls car les jeunes gens4 ont passé leur soirée de Samedi à Dimanche au bal qui pour eux n’a fini qu’à 6h du matin de sorte que l’on a dû prendre un repos prolongé à Mulhouse.

C’est à Mulhouse qu’il y avait grand bal Mmes Berger5 ont trouvé que c’était un trop grand dérangement & n’y sont pas allées mais il paraît qu’il y avait beaucoup de personnes de la vallée entre autre <Messieurs> Marozeau, Gros6.

De village à village, il n’y a pas grandes nouvelles à se porter, aussi les bons parents n’avaient pas grand chose à me raconter & nous avons passé bien tranquillement à nous trois ; nous n’étions pas d’une gaîté bien folle, mais avec bonne-maman la conversation ne chôme pas.

En me quittant pour aller faire une petite visite à Mme Georges Heuchel7 elle m’a encore bien recommandé de vous dire que comme elle reçoit les lettres que vous m’adressez, que vous êtes toujours très occupées, elle vous prie de ne pas vous tourmenter de ce que vous ne lui écrivez pas, elle considère vos lettres à Vieux-Thann comme lui revenant à elle aussi.

C’est Dimanche prochain que notre Curé8 nous quitte, il sera reçu à Thann en grande cérémonie conseils de fabrique & municipal viendront le prendre à 10h après la messe l’accompagnent jusque sur la route, où vis-à-vis de Kestner la procession l’attend pour faire son entrée en ville. Dimanche prochain les enfants feront leur 1re communion. L’on ne n’est venu me demander que pour deux garçons.

Nous avons ici le même temps que vous, hier chaud & pluie, aujourd’hui un temps délicieux à s’asseoir sur un banc du jardin, ce que je viens de faire à l’instant. Les oiseaux que manquent pas au jardin & comme c’est la 1re belle journée chaude c’est une vie charmante dans tous les bosquets & sur tous les arbres. Mais nous ne sommes encore qu’au 10 & c’est un peu trop tôt.

Je ne sais si je vous ai dit qu’une bande de voleurs s’était organisée à Mulhouse & environ. Leur spécialité était d’escamoter les grosses caisses des bureaux, notaires etc. plusieurs déjà y ont passé, ce qui tourmentait beaucoup Oncle Georges9, le voilà tranquille, Dimanche l’on a si bien consolidé celle du bureau qu’il faudrait être sorcier. Mais voilà toute la bande sous verrous & c’est encore la meilleure sécurité. C’est la police de Bâle qui a fait découvrir ces habiles voleurs.

Voilà donc notre Friquet10 chérie bien riche en cachet d’or je lui en fais mon sincère compliment & l’embrasse bien fort.

Si je ne craignais pas te faire rougir, toi ma bonne grosse, je te dirais bien combien je suis content de toi & le bonheur que j’ai d’avoir deux bonnes filles ; mais chut, ne parlons pas de cela, c’est bon lorsque nous sommes avec bon-papa et bonne-maman, encore un peu tante et oncle11, mais cela ne doit pas aller au-delà de ce petit cercle & j’ai peut-être eu tort de te parler de ces deux petites personnes. Mais je n’ai de pensée que pour elles & c’est parfois difficile de les contenir.

De Nancy12 je n’ai pas de nouvelles ce qui me contrarie un peu, je vais de nouveau écrire pour savoir le pourquoi.

La fabrique a toujours son courrant d’affaires, mais voilà encore tous nos jeunes gens qui quittent comme tous les printemps pour le militaire. Comme ils ne peuvent plus rentrer le pays se dépeuple & les bras manquent partout. Je me demande ce que sera le pays dans 10 ans d’ici. Que c’est triste & cependant il n’y a aucun remède. Les quelques rares alsaciens sous les armes prussiennes se plaignent généralement de ne pas avoir assez à manger & d’être mal traités, ils découragent les autres.

Me voilà de nouveau sans papier pour continuer. Je t’embrasse mille et mille fois pour qu’à ton tour tu aies provision à distribuer à tous ceux que nous aimons

tout à toi

Charles Mff

mes amitiés à Cécile13.

Notes

1 Lettre non datée, à situer avant le départ du curé de Vieux-Thann (le 21 mars 1875) et le 10 du mois.
2 Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
3 Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril (les « bons parents »).
4 Léon Duméril et Georges Duméril.
5 Joséphine André, épouse de Louis Berger et Julie André, épouse de Léonce Berger.
6 Possiblement Albin Gros dont la fille Cécile est l’épouse de Philippe Marozeau.
7 Elisabeth Schirner, épouse de Georges Heuchel.
8 François Xavier Hun.
9 Georges Heuchel.
10 Friquet, Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
11 Aglaé Desnoyers et son époux Alphonse Milne-Edwards.
12 A Nancy vivent Emilie Mertzdorff, sœur de Charles, et son époux Edgar Zaepffel.
13 Cécile, bonne des demoiselles Mertzdorff.

Notice bibliographique

D’après l’original


Pour citer ce document

Charles Mertzdorff, «Mercredi 10 mars 1875 (B)», correspondancefamiliale [En ligne], Correspondance familiale, 1870-1879, 1875,mis à jour le : 01/10/2013

Danièle Poublan

Cécile Dauphin

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