1914 |

1914-04

Emilie Mertzdorff (épouse Froissart)

Samedi 7 novembre 1914

Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Léon Damas Froissart (Campagne les Hesdin) à son fils Louis Froissart (Paris)

Samedi 7 novembre 1914

Samedi 7 novembre 1914

Brunehautpré

Campagne-les-hesdin   

Brimeux  

Pas-de-Calais1

7 Novembre

Mon cher Louis,

Je ne sais si ton papa2 a mis dans la sa lettre de à Lucie3 la démarche qu'il a faite pour toi à St Omer. Il a pu vérifier que tu as obtenu de faire ton service au 41e. Tu n'as donc aucune préoccupation à avoir de ce côté.

Nous avons aujourd’hui une bonne lettre de Pierre4 qui a laissé son mal d'estomac et sa fatigue sous le toit où il s'est reposé pendant 12 jours et qui paraît ravi d'avoir retrouvé les nuits en plein air et les émotions de la bataille.

Nous n'avons pas repris nos anciennes positions, dit-il, nous avons appuyé pas mal à gauche. Nous soutenons ici des gaillards du Midi (région de Bordeaux et Gascogne) qui ont mauvaise réputation dans notre armée ; nous avons pu nous assurer récemment qu'elle n'était pas surfaite et qu'ils filaient comme des lapins. Dans le petit patelin où nous sommes depuis cette nuit et où les obus pleuvent, ils se cachent dans les caves, et nos gars du Nord se moquent d'eux tant qu'ils peuvent en gasconnant. ça passe le temps.

Il dit aussi avoir reçu une lettre de Corpet, une de toi et se trouve convenablement ravitaillé de nouvelles ce qui paraît lui être extrêmement agréable. Enfin il ajoute en P.S. que son capitaine a levé le lendemain les arrêts de rigueur qu'il lui avait donnés pour ses 2 minutes de retard.

Jacques5 a quitté hier Pellouailles6 : son dépôt est transporté à Quincé-Brissac à 18 kilomètres S.E. d'Angers où il y a également poste et télégraphe. Il prétend que ce changement tient à ce que le Commadant ne se trouve pas bien logé à Pellouailles et veut être hébergé dans le château de la Comtesse de Tredern7. Cette dame est notre cousine, parce que fille du raffineur Constant Say ; je l'explique à Jacques qui ne le sait pas, je pense. Il paraît que, si le Commadant doit être mieux logé, l'escadron le sera beaucoup moins bien, les chevaux surtout.

Le Télégramme donne ce matin des renseignements sur Lille apportés le 4 Novembre par quelqu'un qui a pu en sortir. Je m'empresse de les envoyer à J.8 car on dit que tout est calme depuis l'entrée des Allemands et que les dégâts du bombardement ne sont pas aussi effroyables qu'on l'avait dit d'abord ; en tous cas circonscrits au quartier de la gare, de sorte que les Vandame ont été à l'abri qu'ils soient rue du Gros Gérard ou à St André.

Ton papa continue à prendre ses précautions pour le cas où notre ligne serait percée à Arras où l'ennemi donne un gros effort dans ce but et il prévoit la « bataille de la Canche ». En conséquence, il a engagé M. de Ste Maresville et Poupart à battre leurs récoltes et vider leurs granges afin de diminuer les chances d'incendie. Il l'a fait faire aussi à Dommartin, mais Paul9 n'est entré que partiellement dans ses vues avec une désinvolture qui n'appartient qu'à Paul !...Désiré10 est retrouvé. Il est de nouveau à Dunkerque, ayant échappé d'une manière étonnante aux Allemands qui ont fait beaucoup de prisonniers parmi la petite troupe que le généralPlantey avait emmenée à Douai et dont l'expédition audacieuse n'a d'ailleurs pas été inutile, paraît-il.

Crois-tu à la mort du Kronprinz11 et de von Kluck12 ?

Ton papa t'a engagé télégraphiquement à te faire inoculer le virus typhoïque. A qui t'adresseras-tu ? je pense que tu t'es déjà renseigné. J'espère que tu ne seras pas aussi malade qu'Henriet. M. Hallette trouve que c'est une très utile précaution et nous a beaucoup conseillé de te la faire prendre. Il y a de la diphtérie à St Rémy et de la scarlatine à Campagne parmi les Maubeugeois ; 3 enfants de chez nous sont pris et soignés à l'hôpital.

Je t'embrasse tendrement, cher petit ainsi que ta sœur et la bande des mioches13

Emy

Nous avons aujourd’hui une bonne carte de Guy14. Je suis descendue15 pour la première fois.

Notes

1  En-tête imprimé.

2  Léon Damas Froissart.

3  Lucie Froissart, épouse d’Henri Degroote ; elle héberge son frère Louis Froissart.

4  Pierre Froissart, frère de Louis.

5  Jacques Froissart, frère de Louis.

6  Pellouailles et Brissac Quincé sont dans le Maine-et-Loire.

7  Jeanne (Marie) Say, veuve de Chrétien René de Tredern.

8  Jacques Froissart époux d’Elise Vandame.

9  Paul Malvache.

10  Selon la famille Froissart, probablement Désiré Debavelaere.

11  Guillaume de Hohenzollern, né à Postdam en 1882, mort à Hechingen en 1951, dit le Kronprinz.

12  Alexander von Kluck (1846-1934), commandant de la première armée allemande.

13  Lucie Froissart et ses enfants : Anne Marie, Suzanne, Georges et Geneviève Degroote.

14  Guy Colmet Daâge, beau-frère de Louis.

15  La chambre est à l’étage.


Notice bibliographique

D’après l’original


Pour citer ce document

Emilie Mertzdorff (épouse Froissart), «Samedi 7 novembre 1914», correspondancefamiliale [En ligne], Correspondance familiale, 1910-1919, 1914,mis à jour le : 29/11/2016

Danièle Poublan

Cécile Dauphin

Centre de recherches historiques
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