1917 |

1917-093

Léon Damas Froissart

Jeudi 1er novembre 1917 (A)

Lettre de Léon Damas Froissart (Brunehautpré) à son fils Louis Froissart (mobilisé)

Jeudi 1<sup>er</sup> novembre 1917 (A)

Jeudi 1<sup>er</sup> novembre 1917 (A)

Brunehautpré 1er novembre 17

Mon cher Louis

Tu as reçu, sans doute ma lettre du 24 : les nouvelles intéressantes de date plus récente sont rares à moins que je ne te dise que notre fermier1 ici a, depuis cette date, continué à écouler les foins qu’il avait fait mettre en balles par les Anglais : il se fait complice de la réquisition pour échapper au reproche de vendre spontanément ce qu’il n’a pas le droit de vendre, il arrive une lettre d’un préposé au ravitaillement disant qu’il aura à fournir le double de ce qu’il aurait à fournir, (les restes de la réquisition générale qui se fait en ce moment) pour s’acquitter de la créance qu’ont, sur lui, les Anglais pour les services divers que les Anglais lui ont rendus. Les mêmes Anglais m’ont dit lui avoir fourni de l’essence payée pour 15 [] de trèfle ! Il arrive ainsi, indirectement, à ses fins et pas un sou de tout cela ne m’est venu jusqu’ici. Si je le poursuivais pour tout cela en temps de paix, j’aurais sûrement gain de cause : en temps de guerre, les tribunaux vous envoient vous balader.

Alors Brunehautpré où l’on n’a pas récolté de blé pour me payer, me paiera-t-il un peu avec ses betteraves ? Qui sait si le [fruit] n’en est pas absorbé d’avance par la fourniture d’engrais par la [ ?] ! Les temps sont durs (et vont devenir beaucoup plus durs) pour les propriétaires fonciers.

Hélas ! Ils ne paraissent pas devenir meilleurs pour les combattants : le recul de l’Italie, conséquence forcée de l’inertie de la Russie : c’était à prévoir : mais quel butin en prisonniers et en canons, si l’on en croit les boches ! Quelle résistance arrêtera les vainqueurs d’hier : quand les américains arriveront, l’Italie existera-t-elle encore. Triste, triste !

Nous avons ta lettre du 27 : effectivement tu pourrais retrouver un de ces jours Michel2 qui a dû [partir], ce 28 pour la région où il a été blessé. Les journaux nous disent que l’artillerie boche n’y est pas inactive et nous aimerions mieux te savoir ailleurs. Tant mieux si tu es bien nourri mais tant pis si tu perds ton capitaine. Les 15 jours de contacts t’ont, nous dis-tu, bien servi à te mettre au courant. Quel temps toujours atroce vous avez. Comme nous sans doute ! les semailles se font très mal et ça ne présage pas une bonne récolte pour 1918.

Pierre3 n’a encore écrit que quelques lignes : évidemment il a été en plein dans l’avance et je suppose qu’il porte maintenant son matériel en avant pour étendre son champ d’action.

C’est un aéroplane qui a apporté hier notre courrier de Campagne à Brunehautpré : son commandant aviateur en panne à 2 km d’ici, était venu téléphoner pour se faire envoyer (du Crotoy) un avion de secours qui est venu pendant qu’il déjeunait mais il a dû aller à la poste signer une réquisition pour la communication obtenue et il nous a rapporté notre courrier payant ainsi son téléphone et son déjeuner. Voilà un épisode inédit.

D. Froissart

Elise4 étant partie, nous ne savons rien de Jacques qui venant, aux dernières nouvelles, de se porter en avant, trouvent un cantonnement passable. Michel a reçu son fusil égaré depuis 3 semaines, la veille de son départ : mieux vaut tard que jamais.

Nous ne partirons peut-être que lundi, une réunion assez importante de la société d’agriculture me réclamant le samedi 3 courant. Je n’ai pas chassé, empêché par le mauvais temps et par mes besognes de propriétaire, construisant, réparant avec des ajournements perpétuels de ce qu’on avait décidé la veille, faute de main d’œuvre : je suis menacé de devoir scier mon bois pour me chauffer.

Nous avons reçu hier le 1er n° de la « Nouvelle France », journal [lancé] par ton beau-frère Guy5, aidé puissamment, je veux le croire, [   ] heureux de cette initiative.

D. Froissart

Notes

1  M. de Sainte Maresville.

2  Michel Froissart, frère de Louis.

3  Pierre Froissart, frère de Louis.

4  Elise Vandame, épouse de Jacques Froissart.

5  Guy Colmet Daâge, époux de Madeleine Froissart.


Notice bibliographique

D’après l’original


Pour citer ce document

Léon Damas Froissart, «Jeudi 1er novembre 1917 (A)», correspondancefamiliale [En ligne], 1910-1919, 1917, Correspondance familiale,mis à jour le : 17/09/2015

Danièle Poublan

Cécile Dauphin

Centre de recherches historiques
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