1876 |

1876-042

Marie Mertzdorff

Dimanche 28 mai 1876

Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

Dimanche 28 mai 1876

Dimanche 28 mai 1876

Paris le 28 Mai 1876

Mon Père chéri,

Je ne sais vraiment trop pourquoi je me mets à t’écrire ; Emilie1 l’a fait déjà hier et certainement il ne doit pas me rester grand-chose d’intéressant ou même de non intéressant à te dire ; mais c’est Dimanche, je n’ai rien de pressé à faire et avant de me mettre à lire l’Iliade d’Homère je vais venir causer un peu avec toi. Il faut tout d’abord que je te parle d’un projet que nous mûrissons depuis quelques jours et dont je pensais qu’Emilie t’avait fait part hier car maintenant, si le ciel ne se met pas contre nous en déchaînant un temps affreux, la chose est à peu près décidée. Voilà ce que c’est : oncle2 est très fatigué depuis quelques temps ; son cours quatre fois par semaine, ses examens, ses inspections, tout cela ne contribue guère à le reposer ; nous, nous toussons encore un peu et nous prétendons que nous avons besoin d’un changement d’air ; bref, tous nous mourons d’envie d’aller faire une petite visite à bonne-maman Desnoyers3 à Launay.

V Il s’agirait de partir d’ici Jeudi, oncle nous rejoindrait le lendemain et nous resterions là-bas jusqu’à Mardi afin d’être ici Mercredi jour du cours d’oncle et d’Emilie4. Ne trouves-tu pas que ce serait un bon emploi de nos vacances de la Pentecôte ? Il ne nous manquerait qu’une chose vois-tu mon petit père chéri, je n’en ai parlé à personne car je sais bien qu’il n’y a pas longtemps que tu nous as quittées et qu’il faut être raisonnable, mais que ce serait gentil de t’avoir avec nous pendant ce petit congé, nous nous réjouissons tant de revoir Launay où nous nous sommes déjà tellement amusées. Vois-tu notre plaisir serait doublé, triplé, si tu pouvais être avec nous ; je suis sûre que ce petit repos de quatre jours te ferait du bien ; enfin dans tous les cas je tenais à te dire la chose le plus tôt possible. J’espère que nous allons décider bon-papa et bonne-maman Duméril5 à nous accompagner ils sont déjà un peu ébranlés, de sorte que la partie serait complète. Pourvu qu’il ne fasse pas mauvais temps, je crois que le baromètre remonte et nous lui donnerions volontiers un coup de pouce pour l’aider.

J’espère recevoir bientôt une lettre de toi me disant si tu approuves notre expédition et répondant à ma question ; sais-tu que voilà déjà 356 heures 40 minutes (cela fait plus d’effet qu’en jours) que tu nous as quittés et on peut faire bien des choses en 356 heures 40 minutes.

Tante6 a reçu une lettre de Mme Blum qui veut bien nous donner sa maison de Port7 du 15 Juillet au 15 septembre dans les mêmes conditions de sorte qu’il est maintenant à peu décidé que autant que cela peut l’être que nous y irons. Emilie et tout le monde du reste, en est ravie ! Le cours finira le 29 Juin jour auquel aura lieu la distribution solennelle des prix. Avis aux papas, ils feront peut-être bien de remplir leurs poches avant de partir.

Je viens te faire mes devoirs d’allemand et suis prise de zèle pour cette noble langue, je voudrais bien que tu apportes Guillaume Tell de Schiller8 quand tu viendras, nous pourrions peut-être en lire ensemble au bord de la mer. J’ai lu un peu de ma vieille demoiselle9 qui ne me donne pas beaucoup de peine et m’amuse bien ; j’en suis à la mort d’Helwig seulement je trouve sa femme par trop exagérée et je la déteste la vieille demoiselle je crois vraiment qu’il n’y a pas de gens comme cela ; quand à la vieille demoiselle elle n’a apparu encore que d’une façon si mystérieuse que je ne puis pas encore la juger. Est-ce qu’elle restait toujours dans sa chambre et ne sortait jamais ?

Nous avons commencé l’anglais comme Emilie a dû te le dire Vendredi dernier avec MmeFoussé10 qui est extrêmement gentille et j’en suis sûre te plaira beaucoup. Notre prochaine leçon sera demain.

Adieu, mon père chéri je ne croyais vraiment pas en commençant ma lettre que j’écrirais en travers. Je t’embrasse de toutes mes forces comme on aime un petit père aussi bon, aussi mignon, aussi gentil que toi.
Marie

Que fais-tu aujourd’hui il me semble que si j’arrivais sur la pointe des pieds je te surprendrais dans ton petit salon.

Notes

1  Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.

2  Alphonse Milne-Edwards.

3  Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.

4  Le cours que donne A. Milne-Edwards et le cours que suit Emilie.

5  Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.

6  Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.

7  Port-en-Bessin dans le Calvados.

8 Guillaume Tell (Wilhelm Tell) drame historique de Friedrich von Schiller (1804).

9  Le Secret de la vieille demoiselle, par Eugénie Marlitt (1825-1887), traduit de l'allemand par Emmeline Raymond, 1869.

10  Céline Silvestre de Sacy, épouse de Frédéric Foussé.


Notice bibliographique

D’après l’original


Pour citer ce document

Marie Mertzdorff, «Dimanche 28 mai 1876», correspondancefamiliale [En ligne], 1876, 1870-1879, Correspondance familiale,mis à jour le : 11/05/2017

Danièle Poublan

Cécile Dauphin

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