1878 |

1878-049

Paule Arnould et Paule Baltard (épouse Arnould)

Vendredi 24 mai 1878

Lettre de Paule Arnould (Paris) à son amie Marie Mertzdorff (Vieux-Thann) avec un ajout de sa mère Paule Baltard (épouse d’Edmond Arnould)

Vendredi 24 mai 1878

Vendredi 24 mai 1878

Paris. 24 Mai 1878.

Si tu savais, ma bien chérie Marie, combien j’ai senti pendant ces quinze jours de séparation toute mon affection pour toi ; je pensais sans cesse à toi, je me demandais un peu où vous1 étiez, si vous aviez été reçues agréablement et si vous aviez eu beaucoup à souffrir d’être séparées de votre Tante2 chérie. Enfin Mardi, Mère3 a pu aller voir votre chère Tante, et en revenant elle m’a un peu parlé de vous, ce qui m’a fait tant de plaisir ! Puis hier en arrivant de Sceaux, j’ai trouvé ta chère lettre. Oh ! ma pauvre et aimée Marie, si tu savais ce que je comprends tout ce que tu me dis ! je ne peux pas te le dire ! je souffre pour toi ou plutôt avec toi. Je voudrais être près de toi pour t’embrasser, pour tâcher de te donner un peu de courage et peut-être pour te sermonner un peu aussi. J’étais bien sûre que votre chère Tante vous manquerait beaucoup à vos cœurs de filles, mais j’espérais que vous n’auriez pas eu à à subir et ces persécutions maladroites qu’on vous fait pour votre retour en Alsace et ces ennuis de direction de maison ; il me semble que je comprends les uns et les autres ; et je te plains de toutes mes forces ; maintenant heureusement, quand tu recevras ma lettre, du moins je l’espère pour toi, tu auras fini avec tout cela. Pourtant, ma Chérie, veux-tu que je te dise une chose qui te fera plaisir ; c’est qu’en lisant ta lettre, il me semblait entendre parler ma chère Mathilde4 ; tu sais ce qu’elle vaut, tu sais comme elle fait bien toutes choses ; hé bien ! elle a sur elle les illusions que d’autres ont en sens inverse ; maintenant que l’âge et l’expérience des choses lui ont appris de force que elle ce n’est pas oublier tout que de ne pas penser à quelques détails, et qu’il y avait des choses, et beaucoup, qu’elle faisait aussi bien qu’une autre, elle a pris plus d’assurance, plus de décision et plus de calme. Ma Marie chérie, je te souhaite de toutes mes forces de ressembler à Mathilde parce que je n’ai rien de meilleur à te dire ; tu sais que c’est une de ces perfections comme était ta mère5, comme sont ta Tante et ma Mère ; elles sont très rares et pourtant le bon Dieu nous en a entourées, ce sont des modèles et ils ne doivent pas nous décourager, mais nous fortifier ; et puis en pensant que tu as tes deux mères6 qui veillent sur toi du ciel, et que tu auras toujours l’affection et les conseils maternels de ta chère Tante, est-ce que tu ne te sens pas plus de calme ? Henriette7 me prêche toujours la confiance en Dieu, l’abandon ; elle me dit toujours que je veux trop compter sur moi, trop sentir ce que je me sens la force de faire et de ne pas faire ; il faudrait simplement agir avec bonne volonté et être persuadée qu’on aura à mesure qu’elles seront nécessaires toutes les grâces que le bon Dieu trouvera bon de nous donner ; je crois que c’est là une bonne pensée à méditer. D’ailleurs, mon Amie chérie, ne serait-ce pas une chose bien extraordinaire, pour en revenir à toi, qu’arrivant dans une maison dont tu es partie si jeune, au milieu de domestiques qui en ont nécessairement un peu changé les habitudes et qui doivent être habitués à agir assez indépendamment, et toi ne passant qu’une dizaine de jours, tu puisses penser à tout, voir tout et dire ce que tu as à dire avec liberté ? Mère me racontait hier que, mariée depuis plusieurs années, elle a reculé plus d’une fois devant ces observations à faire. Mais, du reste, maintenant, ma Chérie, voilà tous ces ennuis finis ; il ne faut pas revenir sur les choses faites maintenant, mais les laisser derrière soi sans trouble, sans quoi elles arrêtent pour marcher en avant (ceci est toujours la doctrine d’Henriette) ; elles seront, au contraire, très bonnes pour te faire voir des choses devant lesquelles tu devais passer sans regarder. Tâche bien de jouir jusqu’au bout de ton bon père8 ; comme tu dis, c’est bien triste d’être toujours entre les affections, sans et non pas au milieu d’elles ; heureusement on s’aime de loin et de près, et le cœur est prompt pour faire des tours de France, et même passer par-dessus les mers ; rien ne peut vraiment séparer deux amies. Sois tranquille, ma Chérie, ta Tante sait comme tu l’aimes, et elle t’aime bien aussi ! en voyant ce que cette chère Tante te manque, tu dois bien sentir ce que vous manquez à votre père ; il doit tant jouir de vous posséder, de vous dire un peu son affection et de sentir la vôtre de près.

Il faut absolument que je te quitte, ma Marie. Les raisons qui m’ont empêchée de t’écrire comme je l’aurais voulu avant de recevoir ta lettre me défendent encore de me laisser entraîner avec toi.

Il faut. Notre chère Mathilde est à Dijon, chez une de nos amies Barbe9, la meilleure amie de Lucy10, et sa place se fait bien sentir par un grand vide. Elle est restée jusqu’à la fin de notre retraite qui a été très bonne et prêchée par M. d’Hulot ; tu te plains de manquer de sermons, en voilà un mais bien mauvais, vois-y seulement, chère petite Amie, une forme comme une autre de te traduire mon affection.

Je t’embrasse tendrement, ma Chérie Marie, de ma part et de celle de Mère, nous envoyons de bons baisers aussi à notre chère Emilie.
Reçois encore toute l’affection de ta vraie amie,
Paule Arnould

Ma chère Enfant, ne nous oubliez pas, ni les uns, ni les autres, auprès de votre excellent père, et soyez sûre que la mère de votre amie Paulette11 pense souvent à vous et à la chère Emilie.   

Notes

1  Marie Mertzdorff et sa sœur Emilie.

2  Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.

3  Paule Baltard, épouse d’Edmond Arnould.

4  Mathilde Arnould.

5  Eugénie Desnoyers (†), seconde épouse de Charles Mertzdorff, qui a élevé les fillettes.

6  Caroline Duméril (†), première épouse de Charles Mertzdorff et Eugénie Desnoyers (†), seconde épouse de Charles Mertzdorff, qui a élevé les fillettes.

7  Leur amie Henriette Baudrillart ?

8  Charles Mertzdorff.

9  Probablement l’aînée des demoiselles Barbe, Lucie, épouse d’Alphonse Sagot.

10  Lucy Arnould, épouse d’Alfred Biver, décédée en 1876.

11  Paule Arnould.


Notice bibliographique

D’après l’original


Pour citer ce document

Paule Arnould et Paule Baltard (épouse Arnould), «Vendredi 24 mai 1878», correspondancefamiliale [En ligne], 1870-1879, Correspondance familiale, 1878,mis à jour le : 22/11/2018

Danièle Poublan

Cécile Dauphin

Centre de recherches historiques
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