1879 |

1879-048

Emilie Mertzdorff

Jeudi 1er mai 1879

Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) avec un commentaire de Marie

Jeudi 1<sup>er</sup> mai 1879

Jeudi 1<sup>er</sup> mai 1879

Jeudi 1er Mai 1879

Mon papa que j’aime, Tante Cécile1 et Jean sont arrivés à 5h1/2 ce matin et nous avons été à leur rencontre avec tante, oncle2 et Crabe3 qui n’a pas été des moins heureux en retrouvant son ami Jean. Nous nous sommes levés à 5h moins le quart et comme hier nous ne nous étions couchées qu’à près de onze heures ayant le dîner de famille, tu ne t’inquièteras pas si tu trouves dans ma lettre des tournures de phrases embarrassées et des idées un peu saugrenues.

Jean paraît avoir bonne mine, il a encore beaucoup grandi mais n’a pas augmenté d’une manière notable en largeur. Il dépasse oncle et sa mère sans aucun respect ; quant à la grosseur je crois qu’on pourrait le comparer tout au plus à un manche à balais ; il a les jambes si longues qu’on le dirait monté sur des échasses.

Tante et moi après avoir pris une tasse de café au lait, nous sommes allées à la Trinité pour assister à la 1ère communion d’Edouard Clavery et nous nous y sommes trouvées avant 8 heures tout étonnées qu’il ne soit pas plus tard après avoir déjà fait tant de choses. C’est très drôle de se lever d’aussi bonne heure quand on n’en a pas l’habitude ; on trouve que la journée n’en finit pas. Nous sommes parties de la Trinité à 9 heures avant que la cérémonie soit finie, mais nous en avions eu la plus grande partie et nous avons fait acte de présence, ce qui était le plus utile.

Marie4 a eu ce matin la leçon de M. Beauregard5, c’est un grand sujet d’émotion – ce n’est pas vrai père, cela ne m’émotionne pas du tout6 – mais le professeur donne parfaitement sa leçon et, malgré le peu d’humeur flatteuse qu’il possède il n’a pas l’air trop mécontent de l’élève.

Papa, je ne sais vraiment pas comment te présenter ma requête, et si tu n’étais pas mon papa je serais fort embarrassée : je ferais un grand salut bien profond et bien humble et puis je m’assoirais sur le coin d’une chaise bien loin de toi pour que tu ne puisses pas me voir et de là je te ferais un très long discours dont tu ne comprendrais sans doute pas grand chose, ni moi non plus, mais dans lequel je te ferais sentir qu’on est bien heureux de posséder quelque chose à soi, qu’il est bien triste d’être à la merci de tout le monde ; qu’on ne dort pas tranquille quand on doit quelque chose, enfin j’arriverais à te faire comprendre que le plus grand bonheur quand on est riche, c’est de soulager la misère des autres. En rejetant toutes les belles phrases, tu finirais pas conclure que je n’ai plus le sou, beaucoup moins même, et que je viens te demander de l’argent ; alors je ne sais pas ce que tu ferais, si tu m’engagerais à travailler pour vivre ou quel autre bon conseil tu me donnerais, mais comme je suis ta fille, je n’ai pas besoin d’un long discours, je n’ai qu’à dire tout simplement : Papa, je n’ai plus le sou, je dois même dix francs à Marie et tu serais bien gentil de me donner un peu quelque chose là-dessus [  ] puisque tu es mon papa, sans attendre le résultat je t’envoie deux gros baisers en même temps que ma pétition.

Ta fille bien [pauvre] Emilie

Je te remercie bien de la gentille lettre que j’ai reçue Mardi et qui renferme de si jolis petits vers allemands. Je serais bien contente si je pouvais en faire autant, mais je crois que j’en suis fort loin.

Notes

1  Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas et mère de Jean Dumas.

2  Aglaé Desnoyers et son époux Alphonse Milne-Edwards.

3  Crabe, ou Krab, le chien d’Alphonse Milne-Edwards.

4  Marie Mertzdorff, sœur d’Emilie.

5  Ange Louis Guillaume Lesourd-Beauregard, professeur d’aquarelle.

6  Commentaire de Marie Mertzdorff.


Notice bibliographique

D’après l’original


Pour citer ce document

Emilie Mertzdorff, «Jeudi 1er mai 1879», correspondancefamiliale [En ligne], 1870-1879, 1879, Correspondance familiale,mis à jour le : 20/11/2018

Danièle Poublan

Cécile Dauphin

Centre de recherches historiques
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