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1821-02

Louis Benoît Guersant

Samedi 24 mars 1821

Lettre de Louis Benoît Guersant (Paris) à son ami Pierre Fidèle Bretonneau (Tours)

Paris, 24 mars 1821

Mon ami,

Duméril1 m’a remis hier votre lettre, que j’ai dévorée des yeux, lue et relue, parce que, sous le rapport de l’étiologie de la maladie, les observations assez nombreuses que j’ai occasion de faire ici à l’hôpital des enfants m’ont conduit à des résultats à peu près semblables ; mais je n’avais pas eu une aussi heureuse inspiration dans la trouvaille d’un moyen qui paraît réellement victorieux.

Duméril m’avait déjà parlé vaguement de l’usage de l’acide hydrochlorique d’après ce que lui avait dit M. Chaptal. M. Chaptal lui-même m’en avait aussi parlé, mais d’une manière trop peu précise pour que j’osasse rien tenter à cet égard. Je voulais vous écrire tous les jours, et tous les jours de nouvelles distractions, de nouvelles remises. La lecture de votre lettre m’électrise, je n’y puis plus tenir, écrivez-moi bien vite. Comment dirigez-vous sûrement vos fumigations ? y portez-vous l’acide hydrochlorique lui-même avec des pinceaux, etc., etc., etc. ? Vite, vite, je vous prie ; des détails, car j’ai des occasions fréquentes de répéter vos expériences.

En attendant, voici mes idées sur toutes ces maladies que vous ramenez peut-être un peu trop vite à une seule.

Il y a plusieurs sortes d’inflammations couenneuses dans les inflammations des membranes muqueuses : l’inflammation de toutes les parties de la bouche, des amygdales et du pharynx, qui sont toujours recouvertes de l’épiderme et dans lesquelles la couenne est toujours placée sous l’épiderme. Dans ce genre, se trouvent les différentes maladies connues sous le nom d’aphtes, les ulcères gangreneux de la bouche, qui commencent toujours par une inflammation couenneuse, excepté dans quelques cas cependant, où il y a maladie des os ; dans tous ces cas l’exfoliation de l’épiderme, puis de la couenne, laisse la membrane muqueuse à nu et le plus souvent sans ulcérations.

Dans toutes les membranes muqueuses qui n’ont point d’épiderme, la conjonctive, la muqueuse du larynx, de l’œsophage, de l’estomac, la muqueuse est plus ou moins recouverte d’une fausse membrane très épaisse, mais jamais interposée, sous un épiderme qui n’existe pas.

Viennent ensuite des sous-divisions dans ces deux genres. Les aphtes forment certainement un genre bien distinct des plaques irrégulières qui se rencontrent sur les parois des gencives et des joues. L’inflammation couenneuse des amygdales, de la luette et du pharynx forment ensuite un cas bien distinct. J’ai toujours trouvé cette maladie réunie avec celle du larynx ; mais j’ai trouvé aussi l’inflammation couenneuse du larynx et des bronches sans aucune altération sur les amygdales et la glotte, sans aucune, je vous assure.

Il se rencontre aussi une inflammation des amygdales bien distincte et qui se termine par la gangrène, une véritable angine tonsillaire gangreneuse qui envahit tout le tissu de l’amygdale et a la couleur et l’odeur de la gangrène. J’ai enlevé ainsi une amygdale gangreneuse ; je vous engage donc à n’être pas trop exclusif dans vos généralités ou à ne pas vouloir tout ramener à la couenne, qui, comme vous le dites bien, est une inflammation.

Je voulais publier un petit mémoire sur ces inflammations couenneuses ; mais je n’ose plus rien dire d’après la grande masse de faits que vous nous annoncez.

Quant à la contagion de ces inflammations couenneuses, je vous avoue que je suis peu disposé à y croire dans la plupart des cas et pour toutes. Dans un hôpital où nous avons de quatre à cinq cents enfants, nous avons dans une salle un ou deux enfants attaqués de cette maladie, et je n’ai jamais vu qu’elle se communiquât aux autres. L’épidémie peut n’être pas contagieuse.

L’ophtalmie blennorrhée est, au contraire, très contagieuse. J’en ai eu cette année une épidémie affreuse. J’ai inoculé la maladie sur des aveugles, tous ont contracté la maladie, et le peu que j’en avais inoculé à des chiens, à des lapins, a déterminé sur eux la même altération.

Nous vous embrassons de cœur.

Répondez-nous.

Tout à vous, votre ami.

Excusez mon griffonnage.

Notes

1 André Marie Constant Duméril.

Notice bibliographique

D’après Triaire, Paul, Bretonneau et ses correspondants, Paris, Félix Alcan, 1892, volume I, p. 420-422. Cet ouvrage est numérisée par la Bibliothèque inter-universitaire de médecine (Paris)


Pour citer ce document

Louis Benoît Guersant, «Samedi 24 mars 1821», correspondancefamiliale [En ligne], Correspondance familiale, 1820-1829, 1821,mis à jour le : 02/10/2007

Danièle Poublan

Cécile Dauphin

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