1793 |

1793-04

André Marie Constant Duméril

Dimanche 3 mars 1793

Lettre d’André Marie Constant Duméril (Rouen) à sa mère Rosalie Duval (Amiens)

N° 46

Rouen ce 3 Mars 1793, 2e de la république1

Maman,

Votre dernière, dont j'ignore la date, m'est parvenue le 29 passé. Je passe aux faits.

Pierre Crampon était ce matin à mon retour de l'hôpital à la maison, il arrivait de Gournay ; il venait me voir d'après une lettre de sa mère, qu'il m'a montrée. Il m'a dit ne rien devoir à l'aubergiste et avoir payé sa part, je fus chez cet homme ; je n'y trouvai que la femme, le mari était en campagne. Elle m'avoue, vis-à-vis de Pierre, avoir reçu de lui quatre francs, moitié de la dette et sa part. Par conséquent ce que m'avait dit le mari était par ignorance de ce reçu. Quant aux hardes, c'était un tour de leur part. Ils attendaient, disaient ils, un paquet.

J'ai fait amitié au jeune-homme ; j'eus voulu être à la maison nous eussions dîné ensemble, il n'était guère décidé à retourner à Amiens ; il m'alléguait d'assez bonnes raisons ; il résistait à mes faibles arguments, mais lorsque j'arrivais à l'amour filial, la corde se rompit ; il pleura... que ne ferait pas faire l'amitié d'une mère tendre ? je l'embrassai ; je lui fis toutes les offres dont vous m'aviez commis. Je lui ai avancé quinze francs. Dimanche il embrassera sa mère, il me l'a juré.

Quel est donc le nom des juges de district ? Vous me l'avez dit et je l'ai oublié. Quel a été le résultat de l'affaire du curé de St Maurice2 ; Ma sœur3 fait-elle bien ou mal ? je l'ignore, comme ses ressources.

Que vont faire les Machart ? quelle famille malheureuse ! Quant à Désarbret4, je n'ai pas été surpris. Plaide-t-il ? est-il goûté ? répondez-moi, comme une étrangère à quelqu'un qu'il ne touche pas.

J'ai reçu une lettre de mon oncle de Quevauvillers5, à laquelle je répondrai demain. Tout le monde se portait bien à Oisemont. A-t-il eu les boules noires ? mon oncle est-il aristocrate ? c'est probable ?

Quant au plaisir que je me ménage, la fin des cours le décidera. Savez-vous que j'ai tremblé quelques jours ? on demandait 800 chirurgiens. Si j'eus voulu partir j'aurais eu 1000 écus. Ne craignez rien, non, ne craignez rien.

Quant au recrutement6 ; si j'avais le malheur de tomber au sort, élève d'un hôpital où les jeunes gens sont instruits aux dépens de l'état, je serais officier de santé dans les hôpitaux ambulants. Qu'aurais-je à craindre ? soyez aussi tranquille que moi, sur cet article.

Quant à celui de Montfleury7, je lui répondrai moi-même ou plutôt je l'interrogerai. Il est minuit, il faut que je sois levé à six heures.

Je vous embrasse et papa8,

Constant Duméril

Crampon se chargera d'autres lettres pour la maison.

Mme Thillaye se rappelle à votre souvenir.

Notes

1 Un décret postérieur à cette lettre (4 frimaire an II- 24 décembre 1793) déclare que l’an II ne commence que le 22 septembre 1793 et que « les actes passés du 1er janvier au 26 septembre [1793] sont regardés comme appartenant à la première année de la République ».
2 Il s’agit probablement du curé Alexandre Deledeuille qui a refusé de prêter serment.
3 Probablement Rosalie Duméril.
4 Frère d’André Marie Constant Duméril.
5 Antoine de Quevauvillers, beau-frère de Rosalie Duval.
6 Beaucoup de volontaires, qui ne s’étaient engagés que pour une campagne, quittent l’armée. Pour remédier à la baisse des effectifs (qui passent de 400 000hommes en décembre 1792 à 230 000 en février 1793) la Convention, par une loi du 24 février 1793, réquisitionne 300 000 hommes parmi les citoyens non mariés de 18 à 40 ans.
7 Frère d’André Marie Constant Duméril.
8 François Jean Charles Duméril.

Notice bibliographique

D’après le livre des Lettres de Monsieur Constant Duméril, 1er volume, p. 110-112


Pour citer ce document

André Marie Constant Duméril, «Dimanche 3 mars 1793», correspondancefamiliale [En ligne], 1793, 1790-1799, Correspondance familiale,mis à jour le : 18/09/2006

Danièle Poublan

Cécile Dauphin

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