1864 |

1864-32

Eugénie Desnoyers (épouse Mertzdorff)

Samedi 3 et dimanche 4 septembre 1864

Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Cayeux-sur-Mer)

Samedi 3 et dimanche 4 septembre 1864

Samedi 3 et dimanche 4 septembre 1864

Vieux-Thann

3 7bre 64 Samedi soir

Ma chère petite Gla,

Papa1 cause avec Charles2, maman travaille, Julien3 lit le journal, mes petits choux4 dorment et moi je m’isole au milieu de ce cher monde pour causer avec ma petite Gla. Ta bonne lettre est venue ce matin comme ses sœurs aînées nous réjouir et nous apporter une joie de plus, ta présence pour quelques minutes au milieu de notre cercle. Ah c’est trop bon d’avoir ainsi nos chers parents, leur présence ici me paraît si naturelle, si douce, que je suis effrayée en pensant que dans 12 jours ils m’auront quittée. Charles jouit, comme moi, de voir ces bonnes figures amies autour de nous, quand tu viendras nous trouver avec Alphonse5 comme nous serons contents.

Tu nous demandes que devient Julien ? La Réponse est facile et fort agréable à donner. Car le cher garçon ne mérite que des excellents en tout. Ce que c’est que d’être maîtresse d’école, ça sent son <fruit> d’une lieue. Enfin il est bon, aimable, complaisant comme tu le connais et de plus il engraisse et a au moins augmenté de quelques kilos depuis qu’il goûte de notre cuisine ; c’est l’ambition de Charles, pas pour lui, et il n’a pas encore réussi à son gré l’expérience sur sa femme, ainsi prend-il sa revanche sur le cher bachelier. Voilà pour le côté physique quant au côté moral il ne laisse rien à désirer ; l’écolier en vacances est rempli d’esprit, de gaîté, d’entrain, il est charmant en un mot, et se met si bien à son aise avec Charles (ce qui m’enchante) que souvent il nous fait rire aux larmes. Hier soir, ces messieurs n’étaient de retour d’une excursion à Sentheim6 qu’à 9 h du soir et si peu fatigués, malgré une course de 4 h à pied au milieu des ronces, que le souper a été des plus gais grâce à notre Julien qui a laissé courir son humeur maligne et fine sur leur course, sur les naturels du pays, sur la science, & C’est que tu sauras que la course avait pour but des grottes, et qu’après de grandes recherches le but a été atteint, c’est à dire que les 3 chercheurs ont pu entrer dans une à l’entrée et recevoir la pluie sur leur chapeau, non du ciel, mais de la grotte. Te parlerais-je des fossiles ? oh non c’est un sujet trop grave ! et puis je n’ai rien vu et tu es peut-être comme Thomas ? Enfin… nous avons des grottes dans nos environs et c’est Alphonse qui les fera fouiller ! hein quel joli petit appât7 ! Qu’en dit M. mon beau-frère ? faut-il cela pour le faire venir ? ou quoi encore ! parlez !…

Demain grande partie, ouverture de la chasse, à 6 h à la messe à Thann. 8 h départ des bonnes, des provisions (tout est emballé) en voiture sous la conduite de Georges8 et de Julien, à 10 h 2e voiture, gens plus calmes ceux que tu aimes le mieux, 11 h 3e voiture, ma belle-famille9. Et le matin à 5 j’oubliais la voiture des chasseurs, car j’oublie simplement de te dire que c’est un dîner de chasseur que ta Nie a ordonné et va présider à la ferme10. Nous serons 18 à table et 9 à la cuisine. Que n’es-tu des nôtres ?

Mimi n’a pas encore repris tout à fait sa mine, elle est pâle et après le dîner est tout abattue et sans entrain, ça me préoccupe un peu. Sa tendresse pour sa maman se montre de nouveau tout entière ; c’est une véritable passion chez cette enfant, un besoin pour son petit cœur de se répandre, elle retrouve est si heureuse de retrouver une affection dont elle avait joui et qui lui avait été enlevée que tout le reste pour elle n’est rien, aussi est-elle fort peu aimable avec les autres. Founichon en revanche fait la conquête de tous, est bien portante et délicieuse de grâces et de drôleries.

Que je suis donc contente de te savoir mieux. C’est pour moi une si grande joie de penser que tu reprends ta vie comme autrefois ; tu es bien gentille en parlant de notre bonne mère, mais comme toi je crains une seconde séparation, heureusement qu’elle t’a et que tu as aussi un bien bon mari qui t’engage à aller souvent la trouver. Maman aime beaucoup Alphonse et voilà qu’elle en fait autant avec Charles. Nous sommes vraiment bien privilégiées d’avoir d’aussi bons maris, car nous pouvons nous le dire ce sont deux perfections chacun dans leur genre.

Adieu, ma chérie. Tout le monde m’a quittée, bonne nuit, dors bien et pense que ta Nie t’aime.

Ecris nous. Papa, maman, frère, petites nièces, tous vous embrassent. Ne m’oublie pas auprès de la famille.

Dimanche 5 h 1/2

En attendant la voiture, bonjour ma chérie. Il a plu tout la nuit ! espérons que le soleil finira percer, toutes les bonnes11 sont à la messe < > la garde des enfants <avec> papa. et toi qu’allez-vous faire de votre journée ? Tu as Alphonse aujourd’hui, ne te plains pas. <  >

Notes

1 Jules Desnoyers, époux de Jeanne Target.
2 Charles Mertzdorff, époux d’Eugénie Desnoyers.
3 Julien Desnoyers, jeune frère d’Eugénie et Aglaé.
4 Marie (Mimi) et Emilie (Founichon) Mertzdorff, filles du premier mariage de Charles.
5 Alphonse Milne-Edwards, époux d’Aglaé Desnoyers.
6 Sentheim, village à l'entrée de la vallée de Masevaux, est un site géologique intéressant, situé sur une fracture où affleurent les calcaires qui ont donné naissance à de nombreuses grottes.
7 Eugénie a écrit : « appas ».
8 Georges Léon Heuchel.
9 Possiblement Marie Anne Heuchel, veuve de Pierre Mertzdorff et belle-mère d’Eugénie ; Georges Heuchel et son épouse, parents de Georges Léon ; Emilie Mertzdorff, belle-sœur d’Eugénie, et son époux Edgar Zaepffel.
10 Propriété de Charles Mertzdorff à Cernay.
11 Parmi les bonnes, Cécile et, possiblement, Annette, Catherine, Marie.

Notice bibliographique

D’après l’original


Pour citer ce document

Eugénie Desnoyers (épouse Mertzdorff), «Samedi 3 et dimanche 4 septembre 1864», correspondancefamiliale [En ligne], Correspondance familiale, 1860-1869, 1864,mis à jour le : 03/04/2012

Danièle Poublan

Cécile Dauphin

Centre de recherches historiques
EHESS
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