1870 |

1870-042

Eugénie Desnoyers (épouse Mertzdorff)

Mardi 2 août 1870

Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Paramé) à Félicité Duméril (Morschwiller)

Mardi 2 août 1870

Mardi 2 août 1870

Paramé

2 Août 70

Chère bonne-Maman,

Que d'émotions depuis quelque temps, et que d'émotions nous attendent encore tous ! Nous avons été heureux d'apprendre par un mot de Léon1 que votre bon frère2 allait un peu mieux et que M. Lecointe songeait à lui faire prendre des eaux dans la Nièvre. Malgré tout le bonheur qu'il éprouve à être près de vous, et vous tous à l'entourer ainsi que Mme Auguste3 de vos soins et de votre affection, il est meilleur pour M. Auguste de s'éloigner en ce moment de l'Alsace. Avec son mal les émotions sont mauvaises et notre pays est bien exposé. Vous savez sans doute que notre Julien4 est enrôlé, parti pour le camp de Châlons dans la 3e compagnie du 5e bataillon de la garde mobile. Vous comprenez tout ce que maman5 a éprouvé en voyant son Julien revêtu du costume militaire et si lourdement chargé du sac, fusil &&. Voilà une rude épreuve pour tous ! et nous avons le cœur bien ému ! Et que de familles avec la même angoisse. Et combien de temps cela durera-t-il ? Probablement que vos neveux Duméril6 ont le même sort.

Charles7 persiste à ne pas vouloir nous faire rentrer en Alsace avec lui ; à cause de mes petites filles8 j'accepte et vais me diriger, avec Aglaé9, vers Paris pour tâcher d'entourer le plus possible maman et nous aller ensuite tous installer à Launay pour attendre les évènements. Que seront-ils ?

Cette bonne mère a bien besoin d'être entourée d'affection pendant ces temps d'épreuves où les nouvelles du bon Julien pourront venir à manquer. On continue à déménager les livres de papa10 à Montmorency, ce qui est une grande fatigue par cette chaleur, j'espère pouvoir une peu seconder maman dans cette besogne, nous irons probablement aussi à Montmorency.

La présence de Charles ici nous a été bien douce et nous redonnera à mes fillettes et à moi, le courage d'attendre une autre réunion. Dans ces moments d'émotions et d'anxiétés il est si pénible d'être séparés. Charles nous quitte demain soir à 5 h et sera à Vieux-Thann Jeudi soir à 10 h. Le voyage est bien long.

Aglaé et moi partirons Dimanche soir avec toute notre petite bande, et serons à Paris Lundi matin à 4 h si la ligne n'est pas trop encombrée.

Nos petites filles vont très bien, les mines font plaisir, la présence d'Hortense11 a fait une douce diversion et a encore été une cause de gaieté ; ce sont des rires sans fin, tout se fait en commun ; on veut apprendre à nager pour faire comme Hortense ; puis on écrit son journal, on dessèche des plantes marines, on ramasse des coquilles, on lit, on se promène beaucoup && Dimanche nous étions à Cancale, les rochers sont magnifiques, mais la plage affreuse, hier bonne excursion à Dinard par bateau à vapeur, vue délicieuse sur la mer et la Rance. La plage est magnifique ici, sable fin et rochers qui viennent égayer et changer la vue ; mais nous parlerons de cela lorsque nous nous retrouverons.

Comment allez-vous ? N'êtes vous pas bien bien fatiguée ; souffrant des souffrances des autres et malheureuse de ne pouvoir les soulager. Je serai bien contente d'avoir de vos nouvelles à Paris. J'espère trouver Adèle12 et sa petite famille en bonne santé. Charles remercie Léon de ses 2 lettres et me charge de toutes ses amitiés pour votre trio13. Ne nous oubliez pas auprès de M. et Mme Auguste si vous les possédez encore. Mes meilleures amitiés pour vous et partagez avec bon-papa et oncle Léon l'assurance de notre sincère affection

Eugénie Mertzdorff

Marie et Emilie vous embrassent bien fort.

Notes

1 Léon Duméril.
2 Auguste Duméril.
3 Eugénie Duméril, épouse d’Auguste Duméril.
4 Julien Desnoyers.
5 Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
6 Paul et Georges Duméril.
7 Charles Mertzdorff.
8 Marie et Emilie Mertzdorff.
9 Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
10 Jules Desnoyers.
11 Hortense Duval.
12 Adèle Duméril, épouse de Félix Soleil, mère de Marie, Léon et Pierre Soleil.
13 Félicité, Louis Daniel Constant Duméril (« bon-papa ») et leur fils « oncle Léon ».

Notice bibliographique

D’après l’original


Pour citer ce document

Eugénie Desnoyers (épouse Mertzdorff), «Mardi 2 août 1870», correspondancefamiliale [En ligne], Correspondance familiale, 1870-1879, 1870,mis à jour le : 18/05/2012

Danièle Poublan

Cécile Dauphin

Centre de recherches historiques
EHESS
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