1870 |

1870-052

Eugénie Desnoyers (épouse Mertzdorff)

Lundi 8 août 1870

Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paris) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

Lundi 8 août 1870

Lundi 8 août 1870

Paris

Lundi 2 h

Mon cher Charles,

Je viens de relire pour la 3e fois ta chère, bonne et longue lettre, merci Ami chéri, pour cette bonne missive qui m'attendait à mon arrivée ici et dont la vue m'a été un soulagement ; nos chères fillettes1 l'ont embrassée comme toutes celles qui viennent du bon père.

Paris est consterné, au reste comme toute la France ; hier à Rennes on ne voyait que figures tristes, sérieuses, en vain aurait-on cherché sur toute cette population qui venait chercher les nouvelles, un visage n'ayant pas le cachet d'une navrante anxiété. Les nouvelles que nous recevons de nos armées sont bien faites pour cela. On croit ici à un appel général et (on craint que l'ennemi n'arrive jusqu'aux portes de Paris ?) La position est bien triste. Alphonse2 et Alfred3 viennent de partir aux nouvelles sur le boulevard. Alphonse nous attendait à 4 h 45 à la gare de l'Ouest ; sa figure si sérieuse n'était pas reconnaissable. Alfred vient de rentrer à 7 h ce matin après avoir passé 2 nuits en chemin de fer. A Brousseval il n'a rien conclu, ses propositions n'ont pas été acceptées, M. Emile4 lui a donné, à sur sa demande, ses dernières intentions, il les a en poche et a dit que dans des circonstances comme celles-ci il attendrait pour donner sa réponse définitive. Il voulait aussi aller à Alfort pour arrêter un peu les travaux qu'il a commandés. Voilà pour ses affaires ; maintenant parlons de notre cher mobile5 qu'il est allé trouver au camp. Il a passé la journée d'hier avec lui, de suite son capitaine lui a donné de suite permission de 10 h ; on voulait déjà le faire passer caporal, mais il a décliné l'honneur ce que son capitaine a approuvé ensuite quoiqu'il ait insisté pour lui donner les galons, il est beaucoup plus libre simple soldat que d'avoir la responsabilité de commander à des hommes plus ou moins distingués, lui sachant à peine l'exercice. La Mobile n'a pas bougé de Châlons et de ne doit avoir des fusils que ces jours-ci, puis sera probablement dirigée vers les places. M. Pavet6 qui était parti avec la division de Canrobert se dirigeant sur Nancy est rentré au camp Samedi soir. Alfred l'a vu hier. Notre Julien est très bien, bon moral, bonne santé et tu ne devinerais pas les petites délicatesses qu'Alfred va lui envoyer : un filtre en papier et son article sur le <gneiss> ! pour étudier sur la place les gisements !

J'ai trouvé maman7 bien, ses cheveux blanchis, mais le moral bon, ne pleurant pas. C'est la France qui occupe tout le monde ; elle était levée pour nous recevoir. Elle est rentrée hier de Montmorency tout est prêt pour nous y recevoir, le jour de notre départ n'est pas fixé, mais ici on a besoin d'avoir les nouvelles et personne n'a l'air très disposé à prendre de suite la route de Launay. Aussi nous commencerons par aller à Montmorency quitte à rentrer à Paris, si l'ennemi approchait... Alfred, Alphonse ont l'air de croire qu'eux aussi pourraient être utiles. Tu comprends d'après cela la tournure des esprits. Mme Lafisse8 nous quitte à l'instant, elle est venue de suite nous voir, leurs pensées sont les mêmes que les nôtres. Raymond9 est à Châlons et chacun se figure qu'il ne reverra pas les siens. On me parle de toi, et on nous plaint d'être séparés.

je t'ai quitté hier soir après un bon souper à la gare de Rennes dans la bonne confiance que nous aurions sans peine notre wagon, mais il n'en a pas été ainsi, et c'est par l'énergie et la chance (on rajoutait un wagon de seconde que et celui qui nous l'avait promis a fait rajouter une première pour nous) que nous avons pu faire passer une bonne nuit à notre petit monde ; nous les avons mis chacun sur une banquette et leurs pieds sur nous, de sorte qu'on a bien dormi, les petits tout d'un somme ; A Versailles, j'aperçois Bathilde10 qui réclame sa fille11, nous la lui jetons à moitié endormie et sans ses affaires, car nous n'avons pas reçu la lettre de Bathilde nous donnant cette combinaison, et nous gardons sa caisse et son billet. Ma tante Allain12 est toujours bien mal. Ma tante Prévost13 toujours de même. Nos fillettes étaient un peu fatiguées, mais bonne mine, tante Aglaé14 vient de les emmener, je vais aller les chercher puis voir Adèle15. Que d'émotions partout. Merci encore pour ta bonne lettre, écris-moi, toujours au Jardin des Plantes comme cela j'aurai toujours les lettres n'importe où nous irions et puis je t'écrirai tous les jours que tu sois bien au courant, puisque nous n'avons que cela que nous en profitions. Encore un bon baiser pour mon meilleur ami.

Eugénie Mertzdorff

Je partage tes préoccupations à cause des ouvriers et voudrais pouvoir te seconder pour les blessés, mais c'est plus tard que je pourrai être utile.

Pour la maison c'est très bien, que notre monde ne se décourage pas. Nous rentrerons le plus tôt possible. Notre présence fait du bien à maman. Les domestiques d'Alfred16 sont arrivés aussi ce matin, pour le moment il n'est pas question de prendre quelqu'un chez maman c'est inutile.

Marie t'a écrit en voyage, mais la lettre est restée dans le sac d'Hortense !

Notes

1 Marie et Emilie Mertzdorff.
2 Alphonse Milne-Edwards.
3 Alfred Desnoyers.
4 Emile Festugière.
5 Julien Desnoyers.
7 Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
8 Constance Prévost épouse de Claude Louis Lafisse.
9 Raymond Duval.
10 Bathilde Prévost, épouse d’Alphonse Duval.
11 Hortense Duval.
12 Marie Emilie Target, veuve de Benjamin Allain.
13 Amable Target, veuve de Constant Prévost et mère de Bathilde.
14 Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
15 Adèle Duméril, épouse de Félix Soleil.
16 Probablement Jean et Amélie, couple au service d’Alfred Desnoyers.

Notice bibliographique

D’après l’original


Pour citer ce document

Eugénie Desnoyers (épouse Mertzdorff), «Lundi 8 août 1870», correspondancefamiliale [En ligne], Correspondance familiale, 1870-1879, 1870,mis à jour le : 18/05/2012

Danièle Poublan

Cécile Dauphin

Centre de recherches historiques
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