1860 |
1860-03
André Marie Constant DumérilDimanche 4 mars 1860
Lettre d’André Marie Constant Duméril (Paris) à sa petite-fille Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Paris Dimanche 4 mars1
c'est à toi, Ma Chère Caroline, que je crois devoir m'adresser pour causer un peu longuement de la famille, car je présume que je suis bien en retard avec vous tous et surtout avec toi. depuis deux mois je suis tellement malingre et paresseux que je ne pouvais pas prendre la résolution de prendre la plume.
heureusement et franchement il y a un mieux sensible. Mes nuits sont bonnes, grâce à un quart de grain d'opium que je prends chaque soir et je n'ai plus de quintes <d'expiration> de nombreuses successions de matières salivaires plus ou moins épaisses qu'à mon premier lever seulement, cela me fatigue et j'ai perdu beaucoup de mes forces et de mon énergie accoutumée. Définitivement, et après d'inutiles emplois d'autres médicaments, je me suis mis à un régime tonique : je prends deux fois chaque jour une forte verrée de vin de quinquina au madère et je me force un peu à prendre du bouillon gras dans la journée et un peu de nourriture succulente et comme j'ai commencé à te le dire, je me sens certainement mieux et je suis fort content de mon état.
en voilà bien long sur moi. je m'aperçois que j'ai commencé à écrire ce billet sur le verso je vais le couper et continuer.
L'abcès de ton père2 m'a beaucoup préoccupé j'ai bien craint les suites d'un pareil phlegmon dans la paume de la main et dans le voisinage des tendons ; car la matière de la suppuration trouvait malheureusement une voie trop naturelle pour ne pas fuser et remonter au-delà du poignet. Nous avons été heureux d'avoir su près de lui un médecin3 qui a si bien jugé et le siège du mal et dirigé en dehors l'évacuation. c'est une circonstance bien heureuse d'avoir trouvé près de vous un médecin si instruit et par cela même si capable de mener le mal avec la fermeté et les soins prudents qu'il exigeait. Si j'avais été plus entrain d'écrire je lui aurais adressé mon témoignage de satisfaction qui pouvait lui être sensible comme celle d'un confrère reconnaissant.
Nous avons admiré l'heureuse facilité de Constant pour nous écrire ainsi de la main gauche et pour nous dire avec détails tout ce qui concerne la famille du vieux-Thann. Nous n'avons pas encore à cet égard tout ce que nous désirons savoir sur l'affection assez grave de Madame Mertzdorff la mère4. il est probable que dans l'une de vos prochaines lettres vous pourrez nous tranquilliser à cet égard.
tu conçois tout l'intérêt qui nous attache aux plus petites circonstances de ton aimable petite fille5. Continue ainsi de nous mettre bien au courant.
je dois vous mettre au courant des démarches importantes que je fais dans ce moment-ci, parce que j'ai l'intention de présenter moi-même à l'empereur dans une audience particulière6 mes deux volumes sur l'histoire des insectes7.
en 1854, j'avais remis moi-même au Ministre de l'instruction publique8 un exemplaire pour lui et un autre pour l'empereur de mon traité sur l'histoire générale des Poissons9 : cette circonstance de la remise directe, et sans note écrite, de ces deux exemplaires a été sans doute la cause que je n'ai rien, ni du Ministère de l'instruction publique, ni de celui du Ministère d'état, aucun accusé de réception. M'étant assuré de la manière la plus positive que cet ouvrage sur les poissons ne se trouvait dans aucune des Bibliothèques de sa Majesté et reçu en particulier une lettre du secrétaire intime M. Mocquard10 qui m'engageait à faire relier de nouveau ce travail et à le joindre à celui sur les insectes ; j'ai fait préparer le tout et j'en ai instruit le Ministre11 en lui disant que je comptais sur sa bienveillance parce que je la réclamerais moi-même de l'Empereur dans l'audience que j'allais solliciter. j'ai trouvé chez le Ministre d'assez bonnes dispositions. comme je ne lui ai pas demandé des honneurs mais un honorable repos. Il m'a fait sentir qu'en donnant ma démission de Professeur à l'Ecole de Médecine je ne pourrais toucher que le maximum de ma retraite c.a.d. de 6 000 F mais il ne m'a paru éloigné de l'idée de demander qu'il soit ajouté une pension viagère au traitement de retraite.
aujourd'hui je vais aller avec Eugénie12 chez Madame Rainbeaux13 pour la prier de vouloir bien me faire recommander très particulièrement à M. Mocquard dont la fille14 a épousé le fils de M. Rainbeaux. Si M. Mocquard veut bien me recevoir pour connaître les droits réels que je crois avoir à la faveur du gouvernement par mes anciennes fonctions, mes titres et les ouvrages que j'ai publiés15, il me semble que je pourrai réussir.
j'ai fait relier quelques uns de mes autres ouvrages et je suis prêt à les présenter quand j'aurai obtenu une audience... vous saurez aujourd'hui ce qui nous occupe.
Adèle16 est mieux. Mme Duméril17 est fortement enrhumée. Eugénie et Auguste vont bien.
mes amitiés pour tous surtout à ton excellent mari18. peut-être aurons-nous de vous des nouvelles bientôt. je t'embrasse vivement ainsi que notre toute petite la joie et ton bonheur.
C. Duméril
Notes
Notice bibliographique
D’après l’original.
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