1853 |

1853-06

Auguste Duméril

Lundi 26 septembre 1853

Lettre d’Auguste Duméril (Calais puis Saint-Omer) à son épouse Eugénie Duméril (Paris)

d’André Auguste Duméril.

Calais Lundi 26 Sept. 1853  11 h ½

Quoique je n’aie qu’un moment devant moi, ma bien-aimée, et que cette lettre ne puisse, très probablement pas, partir aujourd’hui, je veux cependant me donner le plaisir d’un bout de conversation, sauf à ne le reprendre que demain, à St-Omer.

La pluie qui, depuis le matin, hier, nous1 a fait la politesse, au moment où nous avons commencé une promenade dans la ville, de s’interrompre, n’a pas reparu, mais elle a été remplacée par un vent d’une force extrême, qui est même devenu une tempête, et tellement forte, que le bateau pour l’Angleterre, qui devait partir à 2 heures, est resté dans le port, et ne s’est mis en route que ce matin, quoique le vent soit très violent, mais avec un magnifique soleil, dont on reçoit, avec grand plaisir, les rayons, après avoir été battus par ce vent, d’une manière presque dangereuse, au bord des quais, dont il faut, par prudence, s’éloigner. Hier donc, dimanche, de 3 h ½ à 5 heures, heure du dîner à l’hôtel, à table d’hôte, nous avons parcouru une partie de la ville, et nous avons été sur l’une des jetées, qui se prolongent énormément loin, dans la mer, et c’est là surtout que, constamment obligés de tenir solidement nos chapeaux, nous avons été battus par le vent le plus violent. C’est d’ailleurs un bien beau spectacle, que de se trouver ainsi au milieu d’une mer si forte, sur un plancher parfaitement solide et sûr. Quant à la plage, elle est très nue, ne paraît rien offrir d’intéressant. Partout, les dunes n’ont pas plus d’élévation que celles qui bordent les marais. Le port est magnifique, mais il n’y a que quelques navires.

Je reprends cette lettre à 2 h ¼, n’ayant plus rien à voir ici, avant notre départ, et étant un peu fatigués de ce vent, qui n’a pas cessé de souffler avec acharnement. Je te disais donc que le port, qui semble fait pour recevoir de nombreux vaisseaux, et les quais, d’abondantes marchandises, sont nus et tristes : ce qui contribue peut-être à cet aspect, c’est qu’ils sont au pied des fortifications. Toute la ville, d’ailleurs, comme le sont beaucoup de villes, ainsi enceintes par des remparts, est triste, et malgré l’air de fête que lui donnent les arcs de triomphe, et les girandoles, dont plusieurs rues sont ornées, elle manque d’animation. Entre Boulogne, qui, à la vérité, n’est fortifiée que dans un point, et Calais, la différence est énorme. Autant l’une est gaie, vivante, animée, par ses nombreux habitants (35 000 environ), ses jolis magasins, ses rues élégantes, son agréable situation, autant, au contraire, Calais doit être maussade à habiter. J’en suis bien fâché pour ma tante2, qui, je crois, aimait Calais : je n’emporterai de cette ville d’autre souvenir que celui de la beauté de son port. Je n’en suis pas moins très satisfait d’avoir vu celle ville où, à part les restes d’un ancien hôtel de Guise, dont le Magasin pittoresque parle peut-être, est une grande église, entourée d’ouvrages de fortifications (Eustache St Pierre), puis son beffroi, où, à cause du vent, nous n’avons pas monté. Calais n’a pas de monuments vraiment intéressants. Une partie de la ville, très curieuse cependant, c’est ce qu’on nomme le Courgain3, situé hors des murs, et qui est une réunion de petites ruelles, habitées uniquement par les pêcheurs, dont c’est là le quartier exclusif. C’est quelque chose de très particulier, que cette agglomération des familles de pêcheurs. Hier, après un très beau et bon dîner à table d’hôte, à 5 heures, notre soirée devant être bien longue, nous avons été au spectacle : Théâtre de 3e ou 4e ordre, salle presque déserte, acteurs médiocres. C’est encore là un triste point de comparaison entre Calais et Boulogne, où la salle est jolie, les spectateurs nombreux, et les acteurs, vraiment assez bons.

Le vent m’a réveillé à 2 ou 3 reprises, pendant la nuit. Je n’ai pas tout à fait aussi bien dormi que les nuits précédentes, mais je vais prendre ma revanche à St-Omer, où nous serons à 4 h moins ¼. Ernest4, qui y avait été passer sa journée du dimanche, n’en est revenu que tout à l’heure : comme nous avions laissé notre adresse à son bureau, il est venu tout à l’heure, sans nous trouver, pour nous faire visite : nous allons le voir avant de partir, son bureau attenant à la gare.

J’en reste là, ma bien-aimée. Si je trouve une lettre de toi à mon arrivée à St-Omer, et que j’ai le temps d’y répondre, je le ferai, sinon je ne t’écrirai que demain.

Comme tout voyageur, j’ai été bien personnel, dans cette lettre, mais si je ne t’y ai pas encore parlé de toi et de notre enfant5, je n’en pense pas moins beaucoup à vous, et particulièrement, à toutes les tribulations par lesquelles tu viens de passer. J’espère que tout va bien.

Mon père a passé une très bonne nuit. Ses garde-robes ne sont pas encore ce qu’elles devraient être, mais il est bien, et n’est pas trop fatigué de tout ce vent, qui n’a cessé de nous secouer rudement, pendant nos courses d’hier et d’aujourd’hui.

4 h ½. Nous voici à St-Omer : mille remerciements pour ta bonne lettre, que je viens de recevoir. Je suis bien content des bons détails qu’elle contient.

Je tâcherai de t’écrire demain. Mille tendres baisers.

Notes

1 Auguste voyage avec son père André Marie Constant Duméril.
2 Alexandrine Cumont, veuve d’Auguste Duméril l’aîné.
3 Courgain, quartier bâti sur un ancien bastion à la fin du XVIe siècle, qui abrite une population de marins.
4 Ernest Duméril, fils de Florimond l’aîné, employé au télégraphe.
5 Adèle Duméril, leur fille âgée de 9 ans.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : Lettres de Monsieur Auguste Duméril, 2ème volume, « Voyage à St Omer, Boulogne, Calais et Dunkerque, avec mon père, en 1853 », p. 584-588


Pour citer ce document

Auguste Duméril, «Lundi 26 septembre 1853», correspondancefamiliale [En ligne], Correspondance familiale, 1850-1859, 1853,mis à jour le : 29/10/2010

Danièle Poublan

Cécile Dauphin

Centre de recherches historiques
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