1862 |

1862-27

Marie Mertzdorff et Félicité Duméril (épouse Duméril)

Jeudi 18 décembre 1862

Lettre de Félicité Duméril (Vieux-Thann) à Eugénie Desnoyers, amie de sa fille décédée (Paris), avec quelques mots dictés par Marie Mertzdorff

Vieux Thann 18 Xbre 1862

Je ne t'écris pas, ma bien chère enfant, sans que mon papier se mouille de larmes et il en est de même au reçu de tes lettres mais ces larmes me font du bien. Tu es mon ange consolateur. Lorsque mon pauvre cœur peut s'épancher dans le tien, il me semble alors que ma fille bien aimée1 m'apparaît pour me soutenir et me redonner des forces. Tes sentiments et les siens étaient si bien à l'unisson ainsi que le jugement et la sagesse des pensées : il est donc bien naturel que toi qui ne faisais qu'un avec ma bien aimée, tu sois appelée à apporter quelque adoucissement à la blessure si profonde de mon cœur. Je viens d'avoir le contentement d'aller passer six jours à Morschwiller2 auprès de mon bon mari dont l'admirable résignation et la piété si belle et si pure se font sans cesse sentir dans toutes ses actions et dans toutes ses paroles. En quittant la maison de mon gendre pour aller à Morschwiller y passer quelques jours, je sais que je laisse nos chères petites3 entourées de tous les soins qui sont dictés par l'intelligence et le cœur, je ne saurais jamais assez parler de notre bonne Cécile4 que notre bien aimée affectionnait tant aussi.

Voilà notre bon gendre5 et Léon6 à Paris depuis hier, ils y sont pour affaires et tous deux éprouvent une bien grande émotion en vous revoyant tous. Cette maison du n° 59 ne renferme-t-elle pas des trésors pour nous. Léon est heureux de faire le voyage de Paris, de revoir parents et amis qui l'accueilleront à bras ouverts, ce dont nous jouissons bien pour notre cher fils. Notre bon gendre veut être de retour ici pour la Noël afin d'être témoin de la surprise des chères petites ce jour-là. L'année dernière, à pareille époque, notre bien aimée tricotait et cousait pour les poupées qui devaient se trouver à l'arbre de Noël, c'était pour elle un si grand bonheur de faire tous les préparatifs de cette fête destinée à ses enfants. Cette année l'arbre sera aussi installé dans le salon et orné de bougies, de bonbons et de petits objets, quant à moi, tout en me prêtant à cette fête j'aurai le cœur bien déchiré à cause de tous les souvenirs qui s'y rattachent. Notre petite Marie a été très heureuse de recevoir ta charmante lettre, et hier elle arrangeait dans sa petite tête tout ce qu'elle aurait à te dire. Je vais aujourd'hui tenir la plume pour t'écrire tout ce qu'elle me dictera. Elle et sa sœur se portent à merveille et leur bon père peut être tout à fait tranquille sur leur compte. C'est toujours une poupée qui fait le plus de plaisir à Marie, elle en voudrait une ayant de longs cheveux afin d'avoir le plaisir de la coiffer. Adieu bien chère enfant, je t'embrasse comme je t'aime ainsi que ton excellente mère7 et ma chère Aglaé8. Mille amitiés de notre part à Monsieur Desnoyers et Julien9

F. Duméril

Ma bonne petite marraine,

Je t'aime beaucoup. Ma petite sœur va très bien et moi aussi. J'ai beaucoup de plaisir à voir mes petites amies, je joue avec elles à la Dame. Il y a longtemps ma petite marraine que je sais mes lettres, j'épelle à présent et je compte jusqu'à cent. Je sais par cœur la Guenon, le Singe et la Noix10, la Fourmi et la Cigale, le Renard et le Corbeau11. Je ferai une surprise à Papa en lui récitant une nouvelle fable, je voudrais bien être dans la poche de papa pour te voir ma bonne petite marraine. La petite Eugénie12 n'est pas malade parce que je la soigne très bien et tu te trompes de penser qu'elle est malade. Bien des amitiés et des compliments à mon petit papa. Toutes mes filles vont très bien elles s'appellent : Eugénie, Cécile, Berthe, Elise Marguerite, Marie, et la petite Fanny. Adieu chère petite marraine, viens nous voir bientôt. Mon cher Papa je t'aime beaucoup, je me réjouis de te revoir.

Marie Mertzdorff  

A mesure que notre petite Miky dictait, j'aurais voulu que tu puisses voir l'expression de son visage et les mouvements de ses petites mains à chaque mot qu'elle prononçait : c'est une charmante et intelligente enfant. Sa petite sœur est moins jolie mais elle a aussi bien de la physionomie.

A l'instant m'arrive une bien bonne lettre de Louise dont je la remercie infiniment. Quel cœur ! et quels beaux sentiments !

Je connais Louise et la délicatesse de ses sentiments et sais toute la part qu'elle prend à notre douleur. Je lui fais bien mes amitiés ainsi qu'à François, Pauline et Marie13.

Bien des remercîments, ma chère enfant, pour le manchon et la palatine que je recevrai probablement demain.

J'espère que ton excellente mère va tout à fait bien à présent, je ne puis assez lui recommander de se ménager et de se bien soigner.

Notes

1 Caroline Duméril, épouse de Charles Mertzdorff, décédée au mois de juillet. La lettre est rédigée sur papier deuil.
2 Morschwiller, domicile de Félicité et son époux Louis Daniel Constant Duméril ; Vieux-Thann, domicile de Charles Mertzdorff et ses filles.
3 Marie (Miky) et Emilie Mertzdorff, filles de Charles et Caroline.
4 Cécile, bonne chez les Mertzdorff, attachée au service des fillettes.
5 Charles Mertzdorff.
6 Léon Duméril, fils de Félicité et Louis Daniel Constant.
7 Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
8 Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards, sœur d’Eugénie.
9 Julien Desnoyers, frère d’Eugénie.
10 La Guenon, le singe et la noix, fable de Jean-Pierre Claris de Florian (1755-1794).
11 La Cigale et la fourmi et Le Corbeau et le renard, fables de Jean de La Fontaine (1621-1695).
12 L’une des poupées de Marie Mertzdorff.
13 Domestiques chez les Desnoyers.

Notice bibliographique

D’après l’original.


Pour citer ce document

Marie Mertzdorff et Félicité Duméril (épouse Duméril), «Jeudi 18 décembre 1862», correspondancefamiliale [En ligne], 1860-1869, Correspondance familiale, 1862,mis à jour le : 27/01/2011

Danièle Poublan

Cécile Dauphin

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