1870 |

1870-032

Eugénie Desnoyers (épouse Mertzdorff)

Mercredi 20 juillet 1870 (A)

Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paramé) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

Mercredi 20 juillet 1870 (A)

Mercredi 20 juillet 1870 (A)

20 Juillet 70

Paramé

Mercredi 2 h

Mon cher Ami,

Me voici en possession de ta lettre datée du samedi soir ; c'est toujours quelque chose quoique ce ne soit pas aussi récent que je le désirerais. Je comprends que tu sois tourmenté en songeant à la perspective et aux conséquences possibles, pour notre pays, de la guerre. Mais ayons confiance en Dieu, espérons que les malheurs à déplorer ne seront pas aussi considérables qu'on le craint et que la lutte ne sera pas longue car elle deviendrait épouvantable pour l'humanité ; mais que sert de bavarder... philosopher. Je ferai mieux de te dire qu'en ce moment je regarde ma grosse Marie1 qui a une mine de santé que je voudrais de photographier, elle écoute Hortense2 qui fait la lecture, dans le guide de la partie historique, géographique des villes que cette jeunesse a traversées, et Julien3 a la complaisance de les arrêter à chaque mot pour leur donner des explications et les taquiner en leur prouvant qu'elles ne savent rien. Tout à l'heure c'était la théorie de l'électricité et oncle Alphonse4 voulait faire jaillir de sa pipe des étincelles ; maintenant c'est l'évêque du XIe siècle du Mans5 qui est sur le tapis... Aglaé6 fait lire Jean7.

Le bain était délicieux au dire des baigneurs, les deux amateurs sont Marie et Hortense qui s'entendent au mieux, Alphonse est le grand baigneur, toujours d'une complaisance admirable pour les enfants8 ; hier soir c'était un rempart qu'il construisait avec eux contre la mer et il s'y réfugiait jusqu'à ce que les vagues l'aient envahi, tu juges des joies et des cris ; puis Marie a tant fait que l'oncle a joué avec elles dans le sable sec ensuite, et après ces exercices sans fin on a gagné les dodos et un seul somme jusqu'à 7 h.

Ce matin petite promenade dans Paramé, petites emplettes, l'arrivée du facteur, ta bonne lettre et une d'Emilie9 qui dit que tu dois être bien tranquille car tu n'auras su les choses que lorsque tout aura été fini, et que moi je suis exempte de préoccupations. Elle a souvent la migraine, Edgar est très occupé à la préfecture, et quant au domestique dont il avait été question bien entendu il ne peut pas avoir de congé ce que nous prévoyions et ce qui nous va tout à fait d'après ce que nous pensons tous deux surtout avec les circonstances pendantes.

Nos fillettes font plaisir à voir entre leurs deux oncles10. Tout à l'heure c'est l'oncle Alphonse, qui en véritable homme de l'art, a nettoyé des dents de notre Marie qui s'est laissée faire parfaitement sagement.

Emilie voudrait bien t'écrire, mais ça lui coûte de faire quelque chose qui demande de l'application, aussi soupire-t-elle devant son papier en disant : « Ah que je voudrais donc que Papa revienne ! » et c'est du fond du cœur à plus d'un point de vue. Ces messieurs devaient aller à Dinard mais le brouillard a arrêté le projet, mais voici le soleil qui dissipe les vapeurs de l'océan, juste comme hier, aussi chacun se dispose à gagner le rivage.

Adieu, cher Ami, reçois nos tendresses, la pensée que le temps approche de te revoir me réjouit.

Tes petites filles t'embrassent ; j'en fais autant.

Ta Nie

Je vois en pensée ma maison si bien préparée, nettoyée pour recevoir... Messieurs les Prussiens, ça ne fait rien dis à Nanette11 que je me réjouis de rentrer.

Amitiés à oncle Georges12.

On craint de recevoir des nouvelles de Morschwiller13.

Notes

1 Marie Mertzdorff.
2 Hortense Duval.
3 Julien Desnoyers.
4 Alphonse Milne-Edwards.
5 Saint Julien.
6 Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
7 Jean Dumas.
8 Emilie et Marie Mertzdorff, Hortense Duval, Jean Dumas.
9 Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
10 Alphonse Milne-Edwards et Julien Desnoyers.
11 Annette, domestique chez les  Mertzdorff.
12 Georges Heuchel.
13 Morschwiller où séjourne Auguste Duméril, malade.

Notice bibliographique

D’après l’original


Pour citer ce document

Eugénie Desnoyers (épouse Mertzdorff), «Mercredi 20 juillet 1870 (A)», correspondancefamiliale [En ligne], Correspondance familiale, 1870-1879, 1870,mis à jour le : 18/05/2012

Danièle Poublan

Cécile Dauphin

Centre de recherches historiques
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