1871 |

1871-068

Eugénie Desnoyers (épouse Mertzdorff)

Dimanche 9 et lundi 10 juillet 1871

Lettre d’Eugénie Desnoyers (Montmorency) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

Dimanche 9 et lundi 10 juillet 1871

Dimanche 9 et lundi 10 juillet 1871

Montmorency1

Dimanche soir 10h

9 Juillet

Mon cher Charles,

Voici tout le monde couché, je viens d'aller prendre à maman2 sa dernière feuille de papier et je veux la noircir à ton intention avant de me livrer aux douceurs de Morphée.

J'espère que ces petites pattes de mouches voudront dire pour toi : « Ma petite femme m'aime bien, pense à moi ; mes petites filles3 vont bien et ne m'oublient pas ; mon petit monde jouit du plaisir d'être auprès des bons grands-parents4, mais mon absence leur pèse et mon nom est bien souvent prononcé ». Tu pourras encore ajouter toutes sortes de jolies choses du même ordre et tu seras encore au-dessous de la vérité, car tu es des meilleurs et tu es aimé comme tu le mérites. En voilà bien des préambules, diras-tu ; où veut-elle en venir ? à rien du tout qu'à te répéter ce que tu sais bien et qui fait toujours plaisir à entendre.

Cette après-midi, comme je remontais dans ma chambre avec l'intention de joindre quelques lignes à la lettre d'Emilie5 on m'annonce la tante Mertzdorff6. Elle est arrivée seule à 2h venant très aimablement nous faire une petite visite avant de quitter le quartier du chemin de fer du Nord. Elle déménage Mardi prochain pour aller s'installer rue de Parme, l'appartement est prêt. Elle n'a pas voulu rester à dîner à cause de son mari, a-t-elle dit, qui a un peu souffert de sa goutte ; il est bien en ce moment, mais ne peut plus dîner hors de chez lui, ayant voulu 2 fois essayer de dîner au restaurant, il s'est trouvé pris de l'estomac. Les Bonnard devaient l'accompagner, mais Elise7 lui a écrit que ses petits garçons8 avaient un peu de fièvre, qu'elle craignait la rougeole et ne pouvait venir (La tante n'avait nullement l'air préoccupé) Au bout d'un petit moment de conversation c'est Edgar9 qui paraît, il était allé au Jardin10 un des jours de la semaine dernière, mais n'avait rencontré personne. Mêmes reproches de notre part de n'être pas venu pour l'heure du déjeuner, même invitation, qu'à la tante, de rester à dîner avec nous, mais même refus, il devait dîner chez son frère11 avec M. Rieff12 qui arrive de Colmar et. Nous les avons reconduit, Alfred13 les fillettes et moi, nos deux visites au chemin de fer de Montmorency pour le train de 5h. on a été très aimable de part et d'autre ; rien de remarquable. Edgar n'est pas très satisfait de ses démarches, de loin les offres sont plus belles que lorsqu'on est là ; il doit aller demain chez le ministre14 avec M. Lefébure et espère avoir une proposition sérieuse. Quant aux 2 places auxquelles il pensait pour Paris, il paraît y avoir renoncé à cause de l'impossibilité de les obtenir ; on lui aurait prononcé le nom de Versailles pour le conseil de préfecture et il paraissait hésiter, mais maman, avec sa franchise habituelle, lui a dit qu'il ferait bien d'accepter, que une fois reparti, il aurait encore bien plus de peine à obtenir ce qu'il désire, que Versailles était une charmante résidence, avec les agréments du voisinage de Paris, sans le bruit et la fatigue. Tante Mertzdorff et moi avons parlé dans le même sens et cela a paru lui faire plaisir, mais il a craint qu'Emilie15 ne soit pas contente, et il m'a prié de lui écrire en lui répétant ce que nous venions tous de dire sur Versailles. Ensuite il m'a parlé de Nancy, il veut s'informer si, dans cette ville, il n'y aurait pas de vacance prochaine dans le conseil de préfecture, cela lui irait, mais la présence prolongée des Prussiens le chatouille désagréablement. J'ai appuyé encore plus pour Nancy que pour Versailles à cause de la proximité de Colmar, ce qui leur permettrait de revenir plus facilement dans leur maison. Mais de tout cela, il n'a encore aucune proposition sérieuse. Il pense repartir dans peu de jour, Alfred tâchera de le rencontrer un de ces soirs. Lui et sa femme sont de vrais enfants dans la bouche desquels les alouettes devraient tomber toutes rôties, et encore, je crois qu'ils ne les apprécieraient pas.

Au moment où nous reconduisions la tante Mertzdorff et Edgar, M. Edwards16 descendait du train, il nous a attendus quelques minutes et nous sommes revenus avec lui, il est reparti après dîné. Alphonse17 a corrigé des épreuves dans la journée que son père a remportées.

Les perquisitions chez des habitants de Montmorency se continuent, et on y découvre des objets provenant des maisons pillées par les Prussiens ! oh honte, toujours honte !

Demain on commencera à rapporter les livres de la mairie18, on ne peut pas les y laisser indéfiniment.

Tes chéries continuent à avoir cette bonne petite expression de visage qui fait du bien au cœur, aussi chacun sourit en les regardant. L'oncle Alphonse qui taquine et cause particulièrement avec Marie comme faisait notre Julien19, disait ce soir aux 2 coquines que, dans quelques années lui et tante20 seraient menés par le bout du nez (et il joignait la démonstration aux paroles) par les deux petites nièces. Tu devines les rires. Emilie a joué toute la journée avec son Jean21 dont elle est toujours le type-modèle, et après le dîner on a joué au volant, une partie dans les règles avec la tante Aglaé. Demain Alphonse part à 8h Agl et Jean à 1h

La famille Fröhlich a été Vendredi, après notre départ, déposer des cartes chez Aglaé pour nous tous. J'irai les voir à mon premier voyage à Paris mais je ne sais pas quand ; maman a affaire ici et y est bien mieux, ainsi que nos petites filles, qu'à Paris. Que fais-tu en ce moment ? Voilà 11h. Peut-être nous écris-tu ? tu me donnes de si bons détails sur toutes choses que je suis presque mieux au courrant qu'à la maison et que je ne veux pas te faire de question, tu sais que tout m'intéresse ; seulement ma recommandation c'est que tu ne te fatigues pas trop et que, pour ceux qui ont besoin de ton affection, tu penses un peu à toi

Ta Nie

Lundi 11h

Bon sommeil au cottage. beau temps, même chaud. On transporte les livres, avec une voiture, de la mairie ici. Les enfants ont cueilli des groseilles avec tante pour les confitures ; chacun est à sa besogne avec plaisir. Nous t'embrassons bien fort

EM

Bien des amitiés de tout notre entourage pour toi et les bons parents de Morschwiller22.

Maman est bien.

2h Ta lettre du 8 et du 923 m'est arrivée au déjeuner les nouvelles sont encore bonnes. Merci, mon bon chéri. Je suis contente que tu dises un petit mot pour décider maman à venir en Alsace car je n'ai pas encore pu obtenir une réponse affirmative quoique papa travaille avec nous. Je ne désespère pas encore, il fait très lourd aujourd'hui.

Mille bons baisers.

Notes

1 Lettre écrite sur papier deuil.
2 Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
3 Marie et Emilie Mertzdorff.
4 Jeanne Target et Jules Desnoyers.
5 La petite Emilie Mertzdorff (voir lettre du 8 juillet).
6 Caroline Gasser, épouse de Frédéric Mertzdorff.
7 Elisabeth Mertzdorff, épouse d’Eugène Bonnard.
8 Charles et Pierre Bonnard.
9 Edgar Zaepffel, époux d’Emilie Mertzdorff.
11 Probablement Alphonse Etienne Zaepffel, plutôt que son frère Eugène.
12 Charles Sylvestre Rieff.
13 Alfred Desnoyers.
14 Probablement le ministre de l’Intérieur, Félix Lambrecht.
15 Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
17 Alphonse Milne-Edwards, fils d’Henri.
18 La bibliothèque de Jules Desnoyers, protégée du pillage par le maire de Montmorency, Emilien Rey de Foresta.
19 Julien Desnoyers (†).
20 Alphonse Milne-Edwards et son épouse Aglaé Desnoyers.
21 Le petit Jean Dumas.
22 Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
23 Cette lettre ne semble pas conservée.

Notice bibliographique

D’après l’original


Pour citer ce document

Eugénie Desnoyers (épouse Mertzdorff), «Dimanche 9 et lundi 10 juillet 1871», correspondancefamiliale [En ligne], Correspondance familiale, 1870-1879, 1871,mis à jour le : 29/08/2013

Danièle Poublan

Cécile Dauphin

Centre de recherches historiques
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