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1863-24
Eugénie DesnoyersDimanche 25 septembre 1863
Lettre d’Eugénie Desnoyers (Ancy-le-Franc) à sa sœur Aglaé, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)
Ancy-le-Franc 25 7bre 1863
Ma chère petite Gla,
Voici une date que je n'ai pas oubliée et je veux te le prouver en t'envoyant ce petit bouquet que je viens de faire pour toi et qui doit te dire tant de bonnes et douces choses de ma part que je ne pourrai pas te les écrire toutes. D'abord que je te souhaite toutes sortes de bonheurs, c'est-à-dire continuation de ce que tu as, car ne m'as-tu pas dit que ce que tu as est bon, et puis prompt rétablissement de ta santé, et puis encore autre chose que je te laisse deviner ; enfin mon petit bouquet composé d'œillets sauvages cueillis par maman1 sur le sommet du mont Auxois, de fougères (capillaire ; rutamuraria2) et orpin3 pris par nous tous sur un mur en descendant d'Alise Ste Reine, te dira tout cela et bien autre chose encore de la part de père mère frères4 et sœur5.
Je t'ai quittée je crois avant-hier à Dijon, au moment où nous nous disposions à aller retrouver papa et Julien qui nous attendaient devant le palais des ducs de Bourgogne. Une fois la troupe réunie, nous sommes montés en voiture et nous nous sommes fait mener au parc, grande et belle promenade, puis à la Chartreuse, ancien couvent, maintenant asile des aliénés où on voit un ancien puits dit puits de Moïse6 à cause de statues qui s'élèvent au milieu de l'eau. C'est un monument unique à ce que disent les connaisseurs ; mais je te conterai tout cela en détails, car est-ce que ça ne te paraît pas drôle que je voyage sans toi ; maman reste toujours ma compagne fidèle, nous habitons à l'hôtel la même chambre, sans cela, j'avoue que je me trouverais bien seule.
Hier la journée a été charmante, nous avons été aux Laumes, nous avons visité Alise Ste Reine la fameuse place où Vercingétorix a été vaincu par Jules César, puis nous avons pris la voiture d'un aubergiste et nous nous sommes fait conduire au château de Bussy-Rabutin7 ; pour y arriver on suit une charmante route, on monte par un chemin montueux, malaisé, où coule un torrent et on arrive dans un magnifique parc qui par ses arbres et ses accidents de terrains, m'a fait penser à la montée au Vieux château de Bade. Le château quoique dominant la vallée est entouré d'eau. L'intérieur est fort curieux, M. de Sarcus8 le propriétaire actuel est littéralement amoureux, passe-moi le mot, de son château qu'il a restauré avec le plus grand soin. Le méchant cousin comme dit Mme de Sévigné en parlant de Bussy avait pavoisé son château des portraits des plus jolies femmes de son temps et mettant au-dessous des remarques ou des devises plus que malines.
La nuit nous a forcés à quitter et nous avons regagné au clair de lune la station des Laumes ; papa et Julien sont partis pour Semur et maman et moi nous avons pris la route d'Ancy-le-Franc ; à 9 h 1/2 nous étions avec Alfred qui a été bien content de nous ravoir, il a eu les Messieurs qu'il attendait, et a toujours beaucoup de besogne.
Nous avons trouvé ta petite lettre qui nous a fait bien plaisir, tu sais si nous désirons te savoir bien. Maman t'embrasse bien tendrement. Tu as charge de toutes nos amitiés pour Mme Duméril9 et de la remercier de la part de maman de sa lettre.
Avez-vous de bonnes nouvelles de Louise10 ? La petite fille est-elle belle ?
Surtout ne fait pas acheter de perse11 pour ma chaise longue pour plusieurs raisons, mais la seule que je te donnerai, c'est que j'aimerais mieux un autre dessin.
Papa et Julien arrivent, ils commencent par me charger de mille amitiés pour vous. Il me charge de dire à Alphonse12 que quoiqu'il n'ait rencontré presqu'aucune des personnes qu'il désirait voir à Dijon, il a cependant vu la collection d'un amateur qui possède entre autres choses un assez grand nombre d'ossements d'oiseaux de St-Gérand-le-Puy13. Il aurait bien voulu les porter à Alphonse, mais ce qu'il a pu obtenir, c'est que si plus tard ton mari le désire, ce monsieur les lui confiera pour les déterminer. Papa a cru surtout reconnaître les os de la grande espèce dont Alphonse a fait un genre nouveau. Cette personne est en rapport avec M. Jourdan de Lyon auquel il a déjà prêté beaucoup d'os qu'il ne lui a pas rendus ; papa lui a dit que son gendre n'agissait pas de cette façon.
Adieu, ma petite Gla, écris-moi, écris-moi, tes lettres me font tant de plaisir. Je t'embrasse bien fort, je n'ai rien fait de ma journée, encore mille amitiés.
Les ossements de cet amateur avaient été achetés par lui à Vichy d'un marchand qui en faisait commerce mais dont il ne se rappelle pas le nom.
Notes
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D’après l’original
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Cécile Dauphin
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